Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/567

Cette page a été validée par deux contributeurs.

milieu des saules, les archers et les danseuses s’amusent et font de la musique. Cependant, la tête enveloppée de nos mouchoirs, nous soulevons nos lourds bâtons, nous secouons nos reins et nous tassons la terre… Mais quoi ? les fleurs de nénuphars, mouillées par la pluie, sont aussi jolies que les trois mille servantes royales quand elles se baignent ! … »

Quand je passais devant les cabanes coréennes, où les gens disputent aux punaises et aux cancrelats une natte en lambeaux, je songeais à toutes ces romances amoureuses et à ces chansons narquoises qui s’en échappent. Et je songeais aussi aux histoires sentimentales et fantastiques du roman populaire, dont les titres flamboient ou tintent si bizarrement sous les toits de ces taudis : la Femme de Jade, la Sonnette d’Or, les Songes de la Licorne, la Rencontre merveilleuse de l’Iris de Jade, l’Aventure des Deux Dragons vus en rêve. Mais je songeais surtout que ce peuple avait devancé tous les autres dans l’art de l’imprimerie, et qu’en 1403 son Roi faisait fondre d’un coup trois cent mille caractères de cuivre, jugeant que les planches gravées s’usaient trop vite et ne pouvaient reproduire tous les livres de l’univers. Les siècles n’ont pas même jauni les feuilles en écorce de mûrier qui en reçurent les premières empreintes. En ce temps-là, le pays du Matin calme semblait annoncer une radieuse journée. Il n’a pas tenu ses promesses.

Le peuple coréen a été la victime de l’isolement dans sa péninsule montagneuse et pauvre, et du confucianisme qu’il tira de la Chine, mais dont il se fit la plus étroite et la plus desséchante des religions. La doctrine confucéenne séduisait son esprit spéculatif, car il était plus idéaliste que ses deux rudes voisins, le Japonais et le Chinois. Son bouddhisme, qu’il avait transmis au Japon, achevait de se corrompre, quand elle s’introduisit chez lui. Elle bannit, dès qu’elle le put, les Bouddhas de la capitale et les réduisit à se sauver au fond des montagnes. Désormais les Lettrés ne se souvinrent de leur existence que pour aller prendre leur villégiature dans des monastères où les bonzes leur servaient d’hôteliers et de domestiques. Et la Corée tomba sous l’administration de ses intellectuels. « La religion des Lettres, dit Voltaire, est admirable. Point de superstitions ; point de légendes absurdes ; point de ces dogmes qui insultent à la raison et à la nature et auxquels