redresser, courir, sauter par-dessus les barres fixes. Ces exercices leur donneront infailliblement une tout autre élégance que l’élégance traditionnelle. Mais l’esprit suivra-t-il le corps ? Se libérera-t-il, comme lui, des anciennes contraintes et des anciens agenouillements ? Il y faudra peut-être des siècles. Parmi les quelques milliers d’étudiantes, les quelques douzaines d’affranchies ou de rebelles ne persuaderont pas aisément aux hommes qu’elles sont leurs égales, car ils estiment presque tous que le culte de la femme, tel qu’on le pratique en Europe, contribue à énerver les vertus militaires. Elles ne le persuaderont pas même à leurs autres sœurs. La femme japonaise demeure convaincue de son infériorité. Je tiens d’un Européen, qui a vécu très longtemps dans le milieu de la petite bourgeoisie et des artisans, qu’au moment de la catastrophe du Titanic les Japonaises n’admirèrent aucunement que des hommes se fussent sacrifiés au salut des femmes et des enfants : « Comment, disaient-elles, ne sauverait-on pas d’abord les hommes dont la vie importe bien davantage à l’État ? »
Mais ce que j’ai cru remarquer chez de jeunes Japonais, plus curieux des idées occidentales qu’ils ne le seront lorsqu’ils auront été embrigadés dans les fonctions administratives et que l’âge et les honneurs les auront durcis, c’est une inquiétude toute nouvelle de ce que nous appelions naguère « l’éternel féminin. » Ils commencent à se demander ce qui se passe dans le cœur de cette subalterne toujours silencieuse que le mariage attache aux pas de l’homme. Qu’il ordonne, critique, menace, gronde : elle se tait. Elle se tait par obéissance, par amour, par dépit, par crainte, par colère : son silence énigmatique signifie tout ce que l’on veut. Elle supporte sans rien dire les injures et quelquefois même les coups. Si malheureuse qu’elle soit, elle ne s’adresse jamais aux lois, elle ne réclame jamais le divorce. Ce n’est point la législation moderne, ce sont les anciennes coutumes qui règlent sa conduite. Mais que pense-t-elle ? Quelle est sa vie intérieure ? Le jeune homme qui me parlait dans ce sens, un soir que nous avions diné ensemble, n’aurait certainement pas parlé ainsi devant d’autres Japonais. Il s’exprimait très aisément dans notre langue, bien qu’il n’eût pas encore quitté le Japon ; il connaissait notre littérature ; et, par son intelligence comme par sa franchise, il me paraissait très au-dessus de la moyenne. Son appréhension de la femme,