millions de francs et qu’en 1913, il dépassait trois milliards, — on ne peut pas encore parler de ploutocratie japonaise ni de socialisme japonais.
J’avoue que, sur la question du socialisme, mes prévisions se sont trompées. Dès 1890, les idées de l’Allemand Karl Marx avaient pénétré au Japon. En 1897, des trade-unions s’étaient déjà formées, et les ouvriers de la Nippon Railway avaient inauguré les grèves pour obtenir le relèvement des salaires. Je pensais que, dans sa hâte presque vertigineuse à rattraper l’Europe, le Japon éprouverait bientôt les mêmes difficultés intérieures que nous et devrait résoudre les mêmes conflits. J’étais d’autant plus porté à le croire que sa grande industrie m’avait laissé d’effrayantes images de la misère humaine et que, s’il y avait un pays où la condition des prolétaires justifiât toutes les revendications socialistes, c’était bien celui dont je voyais les manufactures et les usines peuplées de femmes débilitées et d’enfants épuisés par l’insomnie. Mais j’avais compté sans la rigueur du gouvernement qui a coupé court aux propagandes, et surtout sans l’impossibilité de s’organiser où leur pauvreté, leur paresse, leur résignation orientale et leur humeur nomade maintiennent les ouvriers japonais. On retrouve au Japon les mêmes abus qu’autrefois, les mêmes qu’en Europe au commencement du XIXe siècle, et encore aggravés : journées de douze, treize, quatorze et quinze heures ; salaires dérisoires malgré les augmentations successives, puisque seuls les maçons et les couvreurs en tuiles arrivent à gagner un yen (2 fr. 50) par jour et qu’on a calculé que l’ouvrier le plus économe pouvait à peine économiser deux francs par mois ; travail de nuit pour les femmes et pour les enfants, et pour des enfants de dix ans ! une immoralité profonde, et tous les ravages de la phtisie et de la tuberculose. La loi promulguée en 1911, qui fixe à douze heures la journée ouvrière et qui défend d’embaucher des enfants au-dessous de douze ans, cette loi, qui détermine la responsabilité des patrons, a rencontré une telle hostilité chez les chefs d’industrie et une telle indifférence chez les ouvriers qu’on a décrété que ses principales dispositions, et les plus humaines, ne seraient applicables que quinze ans après sa mise en vigueur.
Mais, il faut bien le dire, ce mal inconnu des âges précédents ne s’attaque qu’à une très petite partie du corps social, et