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pas mutuellement ombrage. Le quatorzième siècle, où le prestige posthume de Maerlant élève le flamand à la dignité de langue littéraire, est en même temps l’époque où les artistes des Pays-Bas, Jean de Bruges, Hennequin, Broederlam, Beauneveu, élisent Paris comme résidence et comme centre ; et c’est l’époque où la littérature belge de langue française cesse de s’exprimer en un français dialectal, comme le picard ou le wallon, pour emprunter définitivement, avec l’historien Jean Le Bel, avec l’étincelant Froissart, le pur français de France.

En voyant ainsi le goût artistique français et la langue littéraire de l’Ile-de-France faire loi pour la culture belge, on se demande si elle ne va pas devenir, définitivement, une province docile et passive de notre propre culture. Mais c’est le contraire qui se produit. Au Puits de Moïse, à Dijon, le ciseau de Clans Sluter inaugure un réalisme tout neuf, presque lyrique en son allégresse : ce réalisme, bientôt, s’exprime par la couleur ; la Belgique du quinzième siècle devient une merveilleuse créatrice d’art ; le retable de l’Agneau mystique « domine, pour plus de cent ans, l’histoire de la peinture » européenne[1]. Et tout en même temps, sous les auspices de la maison de Bourgogne, se dessinent à la cour belge certaines écoles littéraires originales[2], qui vont à leur tour exercer une influence profonde sur la culture française. Georges Chasleilain, Jean Molinet, représentent une école historique officiellement attachée à la gloire des ducs de Bourgogne, et respectueusement soucieuse d’introduire dans une si auguste matière les prestiges de la rhétorique et d’égaler à la majesté des ducs la grandiloquence de la période : leur historiographie nous achemine vers la grande histoire, dont le Flamand Philippe de Commines, passé du service des ducs au service de Louis XI, sera chez nous le créateur ; et leurs périodes, avec tout ce qu’elles ont de solennellement compassé, d’emphatiquement gourmé, annoncent pourtant les futurs déploiements rythmiques de notre belle prose nationale. L’école poétique où l’on retrouve le nom de Molinet et dont ensuite Jean Le Maire de Belges fut le représentant très adulé, préludait d’autre part à notre

  1. Voir dans la Revue du 1er mai 1918, l’article de M. Louis Gillet, l’Art flamand et la France.
  2. Doutrepont, la Littérature française à la cour des ducs de Bourgogne. (Paris, Champion, 1909).