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ils ont nom Charles VI, Marie-Thérèse, Joseph II ; et Godefroid Kurth de conclure, non sans mélancolie : « Alors qu’une dynastie française a su, pendant des générations, faire preuve de déférence envers ses sujets flamands en parlant leur langue, c’est une dynastie germanique qui donne l’exemple de la dédaigner, c’est une dynastie germanique qui met la langue flamande au rebut ![1]. » La Flandre d’ailleurs laissa faire, comme elle laissa faire nos administrations jacobine ou napoléonienne, qui accentuèrent la disgrâce officielle du flamand : ses susceptibilités linguistiques, si durables et si légitimes fussent-elles, n’avaient rien d’aigu. Il semblait qu’ensuite l’administration néerlandaise, en frappant d’une disgrâce inverse la langue française, leur ménageât des représailles dont elles devaient être satisfaites ; mais tout au contraire, des protestations s’élevèrent, entre 1825 et 1830, dans les rangs de la bourgeoisie flamande[2]. Jusqu’à la veille même du jour où le royaume de Belgique allait naître, la Flandre refusait qu’on la fermât à la langue française : elle sentait dans le bilinguisme une richesse, et nullement une faiblesse.


VI

Il était naturel, d’ailleurs, qu’au fond des mémoires flamandes subsistât un sentiment, obscur ou précis, de ce qu’à travers les âges la Flandre et la France s’étaient réciproquement donné. La paix de Dieu, la chevalerie, la réforme monastique de Cluny, toute cette série d’institutions qui tendaient à pacifier une ère de violences, n’avaient autrefois rayonné de France sur la rétive Germanie que par l’intermédiaire des pays belges ; et c’est en langue thioise qu’un certain nombre de nos chansons de geste et de nos romans épiques, les Quatre Fils Aymon, Aeneas, et dans la suite le Roman de la Rose, avaient été véhiculés vers l’Allemagne par Hendrik van Veldcke et ses imitateurs. Mais les pays belges, au passage, avaient aimé s’imprégner eux-mêmes de cette culture française à laquelle leur accueil permettrait de faire étape et s’en assimiler

  1. Kurth, op. cit. II, p. 54-55.
  2. Hamelius, Histoire politique et littéraire du mouvement flamand, p. 56-59. Bruxelles, Hozez, s. d. — Wilmotte, la Culture française en Belgique, p. 86-88. (Paris, Champion, 1912.)