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arrêter l’effusion du sang. Mais qu’elles résolussent, à l’écart de son Congrès national, des questions concernant ses Frontières ou ses finances, ses obligations ou ses droits, elle refusait de l’admettre. On la jugeait opiniâtre, obstinée : sa fermeté d’État naissant savait du moins obtenir qu’on prît des formes et qu’au lieu de lui imposer des protocoles on lui fit des propositions. Elles lui parurent dures, assurément, et même déchirantes, quand elles la conduisirent, malgré elle, à abandonner à la Hollande une moitié des populations limbourgeoises et à la dynastie de Nassau, personnellement, une moitié du Luxembourg, — le futur grand-duché.

Il y eut quelque chose de funèbre, en 1838, dans la séance parlementaire où, bon gré mal gré, il fallut ratifier ce dernier sacrifice et faire sortir de la famille belge ces Luxembourgeois qui en 1830 avaient été des premiers, à Bruxelles, à verser leur sang pour la nation. Mais l’Europe exigeait : résister, c’était compromettre le « résultat national » acquis en 1830. Une voix luxembourgeoise s’éleva, au nom même de ce résultat, pour accepter l’âpreté du sacrifice ; c’était celle du ministre Nothomb, ancien membre et secrétaire du Congrès national. « La patrie pour moi, déclara-t-il, n’est pas le village où j’ai été élevé ; c’est l’être moral, c’est la Belgique[1]. » La vitalité de cet être moral, — ainsi le voulait l’Europe, — requérait certaines amputations territoriales : le sentiment qu’avait la Belgique des tragiques obligations qui s’imposaient, dévoilait une fois de plus tout ce qu’il y avait de profond, d’ardent et de robuste, dans sa volonté de vivre.

Au-delà du Rhin, un observateur concluait :


Le principe fondamental de la révolution belge, celui qui lui donne son caractère propre et qui la distingue d’autres événements de même espèce, résidait dans l’essence la plus intime du peuple. C’était l’aspiration à une nationalité indépendante, à une existence autonome, qui, depuis des siècles, travaillait les Belges[2].


Cet observateur se connaissait, je pense, en courants nationaux : il s’appelait Ernst Moritz Arndt. Il ne lui paraissait pas, à lui, comme aux publicistes actuels de l’Allemagne, que le

  1. Nothomb, op. cit. p. 249 et suiv.
  2. Cité dans Van Langenhove, la Volonté nationale belge en 1830, p. 93. (Paris, Van Oest, 1917.)