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combien est délicat et parfois périlleux le maniement d’un tel principe.

Les abstracteurs politiques le considéraient comme l’universelle solution ; mais si de leurs nuées ils descendent sur la terre, les voilà bientôt fort empêtrés. La géographie, plus réaliste, leur représente bien vite qu’« il ne faut pas développer les nationalités au point de détruire les nations[1]. » C’est M. Jean Brunhes, le professeur de géographie humaine du Collège de France, qui dernièrement poussait ce cri d’alarme, et il avait raison. Car au-delà de cet ensemble de traits physionomiques et de particularités linguistiques dans lesquels la science germanique voudrait nous amener à reconnaître l’assise, pour toujours intangible, d’une nationalité pour toujours distincte, il y a certains traits d’ordre moral, certaines communautés d’obligations et d’habitudes, certain usage de vivre en commun, et de vaincre ou de souffrir en commun, et d’espérer en commun, qui sont à la base des nations. Et pour en revenir à l’unité belge, nous avons le droit de dire que ce que l’Allemagne prétend retrouver de nationalité germanique dans l’élément flamand de la nation belge ne saurait prévaloir, comme facteur d’avenir moral et politique, contre l’ensemble de traditions incarnées dans une histoire, de volontés humaines sans cesse renouvelées, d’habitudes humaines ratifiées d’âge en âge, qui sont le fondement d’une nation, et sa raison d’être, et sa raison de durer.

Voilà ce que signifie et voilà ce que proclame la résistance de la vraie conscience flamande aux manœuvres teutonnes. L’Allemagne, abordant les Flamands avec de mielleuses sommations, les revendique comme siens, au nom de ce qu’elle appelle leur nationalité ; mais les Flamands qui ont derrière eux des siècles de civilisation, les Flamands qui au moyen âge portèrent la civilisation dans le pays de Brème et le Holstein, dans la Thuringe et dans la Silésie[2], peuvent aujourd’hui répondre qu’ils ont dépassé le stade de formation politique vers lequel l’Allemagne voudrait les faire rétrograder ; qu’entre nationalité et nation, il y a la distance d’une étape ; qu’ils se sont élevés,

  1. Voir Jean Brunhes, Correspondant, 10 septembre 1917, et L’Homme libre, 26 et 27 janvier, 4, 7, 8, 11 et 17 février 1918.
  2. De Borchgraere, Histoire des colonies belges en Allemagne pendant le XIIe et te XIIIe siècle (Bruxelles, 1865).