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contraire la rendre aiguë, saignante si j’ose dire, afin de pouvoir un jour, bien à vif et bien à nu, la poser devant l’Europe comme une question internationale. D’avance le dossier se constitue. Il y faut, pour intimider l’Europe, un peu d’appareil scientifique, de verbiage ethnographique ou linguistique, les professeurs allemands fourniront cela. Il y faut, pour caresser ce qui subsiste de romantisme au fond de l’impérialisme allemand, quelques notations artificieusement combinées, prolongeant l’écho factice de je ne sais quel « subconscient » collectif et populaire : le Conseil des Flandres, — une caricature, — est là pour cet office. Voilà dès lors l’Allemagne pourvue : d’une part, la science, représentée par les érudits que le pangermanisme mobilise ; d’autre part, la conscience, la soi-disant « conscience flamande. » Et cette science artificielle et cette conscience truquée se préparent à faire devant l’Europe le procès de la Belgique, non point seulement, remarquez-le bien, le procès de la politique belge à l’endroit des Flandres, mais le procès de l’unité belge, et de l’Etat belge lui-même, et de son droit à l’intégrité, et de son droit même de vivre.

Une fois de plus, l’Allemagne voudrait abuser du principe des nationalités pour confisquer une liberté, amputer ou tuer une nation. Ainsi procéda-t-elle en Alsace : elle dogmatisa que de par sa langue, de par sa race, l’Alsace appartenait à la nationalité germanique. Ainsi procède-t-elle dans les tronçons de Russie qu’elle commence de s’asservir : elle y ressaisit des éléments germaniques, et puis revendique pour eux, et surtout pour elle, les conséquences du principe des nationalités. Ne lui demandez pas, d’ailleurs, ce qu’elle fait de ce principe à Posen, ni ce qu’en font à Prague et à Brünn, à Zagreb et en Transylvanie, à Serajevo et à Erzeroum, l’Autriche sa vassale ou la Turquie sa mercenaire : ce principe ne vaut, pour l’Allemagne, qu’autant qu’il donne l’éveil et l’estampille à des nationalités dites germaniques. Il figure à sa place, dûment étiqueté, dans l’arsenal politique où, suivant les besoins de l’heure, le cabinet de Berlin prend l’arme qui lui convient ; il n’a pas la valeur, comme l’on dit là-bas, — d’une catégorie de la pensée ; il n’est rien de plus qu’un expédient d’offensive ou de défensive, qu’une thèse tout empirique de droit international, que, suivant les instants, on exhibe ou l’on cache. Et ce spectacle même de la désinvolture allemande est propre à montrer à l’Europe