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silencieuse. Instrumentale ou vocale, elle apprit, elle rapprit à chanter, à parler bas.

A parler surtout, sinon seulement à parler. Dans l’œuvre de Debussy, la voix, l’orchestre, ne chante guère, ce qui s’appelle chanter. On croirait que l’auteur de Pelléas et Mélisande s’est promis, et qu’il a tenu sa promesse, d’écrire une partition tout entière, ou peu s’en faut, sans l’ombre, ou plutôt sans le rayon d’une phrase, d’une mesure mélodique. A l’orchestre, c’est tout juste si de temps en temps un thème se forme, qui se déforme aussitôt. La parole, au contraire, la déclamation lyrique, voilà l’ordre sonore où Debussy, musicien de théâtre, met toutes ses complaisances. L’auteur de Pelléas nous a, non pas enseigné, mais rappelé le pouvoir « d’un mot mis en sa place, » ou plus exactement d’une note, de quelques notes placées sur un mot, autour d’un mot qu’elles font valoir ; la vertu d’une intonation, d’un accent, posé doucement sur un orchestre qui murmure à peine, ou dans le silence d’un orchestre qui se tait. Et ce goût, cette prédilection pour le verbe, voilà peut-être le caractère éminent, le signe, non pas nouveau, mais renouvelé, où se reconnaît en Claude Debussy le musicien de race française.

Par là peut-être, mais par-là seulement, il est possible de le rattacher à Rameau. Par le rythme, au contraire, ou bien plutôt par l’absence quasi totale de rythme, il en est « éloigné de plus de mille lieues. » C’est tant mieux, diront quelques-uns. L’un de nos défunts confrères n’a-t-il pas écrit autrefois : « L’endettement des figures rythmiques semble avoir pour cause le progrès même de l’expression musicale. » Suivaient des considérations métaphysiques où nous n’entrerons pas aujourd’hui.

Mais la force et la précision, qualités françaises encore, et « ramistes » entre toutes, font singulièrement défaut à la musique de Claude Debussy. Dédaigneuse de la composition et de l’ordonnance, la plus contraire qui soit à la fameuse analogie de notre art avec une « architecture sonore, » cette musique a fait du vague et de l’indéfini son royaume, Royaume enouveau, je le veux bien, mais fragile ; peut-être sans bornes, mais sûrement sans bases, et qui ne fut jamais, qui ne saurait être longtemps du moins, le royaume de France.

En ce royaume, depuis l’avènement et le triomphe du « Debussysme, » il y a quelque chose, non point assurément de pourri, mais d’équivoque et d’inquiétant. On craint d’y reconnaître des signes beaucoup moins de progrès que de décadence. Ingénieux et subtil, faible et trouvant un charme à sa faiblesse même, l’art de