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tance. Ces postulats étant admis, on en concluait nécessairement l’impossibilité qu’il existât deux mondes. Car, s’il y avait un autre monde, de deux choses l’une, ou bien le second serait formé de substances différentes des nôtres, et alors ce ne serait plus un autre monde, mais une chose tout autre ; ou bien, s’il contenait les quatre élémens du nôtre, chacun d’eux devrait avoir, dans ce second monde, un lieu naturel semblable à celui vers lequel il tend dans le premier : l’élément terrestre, par exemple, au centre ; et, d’autre part, puisque cet élément devrait être, nous l’avons vu, identique au nôtre, son véritable lieu naturel serait le centre de notre monde à nous ; les deux mondes seraient donc nécessairement confondus.

Un autre raisonnement concordant partait de ce principe que, hors les limites de notre monde, il n’y a ni lieu ni durée ; donc il ne peut y avoir matière ; donc il ne peut y avoir un autre monde et il ne peut jamais y en avoir eu ; notre monde est unique dans le temps comme dans l’espace.

À cette théorie on ne fit longtemps qu’une objection sérieuse, celle qu’en limitant le nombre des mondes, on limitait du même coup la puissance créatrice de Dieu ; et c’est cette raison qui fit, en 1277, condamner comme une grave hérésie averroïste l’affirmation qu’il ne pouvait y avoir plusieurs mondes, en rangeant toute l’Église orthodoxe dans le sens de la pluralité contre Aristote. Néanmoins presque tous les physiciens restaient imprégnés de la doctrine aristotélique, et, pour la concilier avec l’orthodoxie, ils avaient été obligés d’inventer des argumens spécieux, comme Michel Scot distinguant que Dieu aurait pu créer plusieurs mondes, mais que la nature ne pouvait les subir ; ou comme Albert le Grand remarquant que le raisonnement d’Aristote n’excluait pas deux mondes concentriques. Peu à peu cependant, quelques-uns, pour soutenir l’orthodoxie, attaquèrent, avec plus de perspicacité, le principe même d’Aristote. Une pierre, suivant eux, ne tombait pas simplement parce qu’elle retournait à son lieu naturel, mais parce qu’elle avait une gravité, qui devait subsister, même dans le lieu naturel, en passant alors à l’état potentiel. Saint Thomas d’Aquin s’appuyait sur l’accélération pour admettre que le poids d’un grave croissait au fur et à mesure qu’il se rapprochait du centre : ce qui ruinait le principe d’Aristote, puisque alors les deux mondes pouvaient se maintenir en équilibre côte à