Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

directions opposées… Il a dit encore : « l’obtention d’une partie de la France ou de la Russie nous aurait seulement embarrassés, nous n’aurions su qu’en faire. » Ces paroles, croyons-nous, mériteraient foi et pourraient dissiper les soupçons qui pèsent sur la tranquillité de l’Europe si les Allemands prouvaient par des faits qu’ils n’ont pas besoin des possessions d’autrui, dont les habitans ne veulent pas appartenir à l’Allemagne et qu’ils ne sauraient qu’en faire.

« Les faits malheureusement prouvent le contraire et le lendemain même du discours du comte de Moltke et de ses paroles sur les abstentions des Allemands du bien d’autrui applaudies au parlement, un député d’Alsace, M. Teutsch, protesta contre l’annexion à l’Allemagne de l’Alsace-Lorraine, en disant que les Allemands sont, loin de s’abstenir de la propriété d’autrui… En présence du Sleswig et de l’Alsace-Lorraine [l’écrivain russe omet de mentionner la Pologne], les journalistes allemands, les députés au parlement, les hommes d’Etat de l’Allemagne auront beau parler de l’amour de la paix de la nation allemande et de son abstention du bien d’autrui, ces paroles résonneront partout dans le désert, excepté en Allemagne, parce que les faits les contredisent…

« Nous autres Russes, nous nous trouvons dans une position plus favorable envers l’Allemagne que d’autres nations. Nous savons que l’Allemagne est bien persuadée qu’il n’y a rien à prendre chez nous. Le moindre essai de ce genre enflammerait le sentiment national russe qui ne se calmerait point avant que l’agresseur n’ait reçu la punition méritée. Il ne serait point sans danger de provoquer la haine d’une nation jeune, fraîche, profondément patriotique… Nous savons apprécier l’amitié de l’Allemagne, parce que nous désirons avant tout le repos. Ses provocations n’ont rien de redoutable pour nous qui connaissons notre force et savons ce dont le peuple russe est capable quand on touche à lui[1]… »

Un tel article devait, en Allemagne, soulever des fureurs : quoi ! cette Allemagne impeccable et souveraine, on "osait s’en prendre à elle, contester sa parole, jeter le soupçon sur sa « paix ! » La Gazette de Spener fulmine, dénonce avec indignation « la manière haineuse » dont la Voix a parlé du discours

  1. Reproduit par le Journal des Débats, 10 mars.