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pas voulu le faire vite ; j’ai à aller au musée encore demain matin, et puis ce sera tout. La comédie est en train[1]. »

Cette comédie, c’est Il ne faut jurer de rien. Que de variété dans la production de l’écrivain, et que de perfection dans cette variété ! Cette année 1836 seule, succédant à d’autres années si cruelles, voit naître la Lettre à Lamartine, la Nuit d’août, les Stances à la Malibran, ce charmant Salon, Il ne faut jurer de rien, et les Lettres de deux habitans de la Ferté-sous-Jouarre[2]. Jamais le génie de Musset n’a été plus fécond, plus libre, et cela au milieu de la vie que l’on sait, des joyeux voyages à Bury, des soupers, mondains ou autres, des bals masqués, dont il raffole, du jeu, etc.

Pourtant, cette vie qu’il aime et qui l’épuise aussi, il en a souvent la satiété ; il le dit à la « Marraine, » quand il est sincère, et c’est avec elle qu’il l’est le plus : « Je vous avouerai que je commence à être parfaitement dégoûté de voir que des veilles forcées, que ma tête et ma poitrine me refusent, ne peuvent me tirer d’un passé qui m’écrase matériellement et moralement. — Ainsi soit-il. »

Que disait donc Paul de Musset ? Alfred n’oubliait pas ? Il n’oubliait pas, mais il y lâchait, et les lettres à Aimée d’Alton[3], cette année 1837, sont là et le prouvent : « Chère, chère aimée, la bien nommée, que je suis heureux de vivre et de t’avoir connue, etc. » et au moment où le poète donne la Nuit d’Octobre et chante :


Honte à toi, femme à l’œil sombre,
Dont les funestes amours
Ont enseveli dans l’ombre
Mon printemps et mes beaux jours…

  1. Inédite.
  2. Voici la lettre d’A. de Musset à F. Buloz qui accompagnait la lettre sur les Humanitaires, la seconde que la Revue publia :
    « Dimanche soir.

    « Voici, mon vénérable ami, la lettre sur les Humanitaires. Elle est un peu longue, mais je compte que vous la mettrez afin que je n’aie pas veillé pour des prunes. Deux fois de suite, ce serait peu galant.

    « Je vais me mettre au roman.

    « À vous,
    « Cotonet. »

    Musset veut parler ici d’Emmeline dont il avait voulu d’abord faire un roman.

  3. Cousine de d’Alton-Shée. Il l’aima quelque temps. Après la mort de Musset, elle épousa son frère, Paul de Musset.