Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

permettre à l’Autriche de passer entre nous et l’Italie la pointe du couteau. Ce qu’on serait, à la rigueur, plutôt en droit de lui reprocher ce serait, — toujours une question de tempérament, — d’avoir poussé à toute extrémité ses avantages, d’avoir claqué les portes et rompu les ponts, sinon pour le présent, du moins pour l’avenir; mais le présent est certain, l’avenir est hypothétique ; ni portes ni ponts ne conduisaient nulle part ; et puis, comme il l’a dit, il « fait la guerre. » Pour attendre quoi que ce soit, à la date la plus éloignée, après la paix et dans la paix, de la bonne volonté supposée de l’empereur Charles, il faudrait savoir non seulement ce qu’on pourrait attendre de sa volonté, mais ce que, à sa volonté démontrée, consentirait sa puissance. Voulût-il, et en admettant que fatalement quelque jour il soit tenté de le vouloir, s’émanciper du joug allemand, le pourrait-il? Mais si l’on se défend de voir là le fond des choses, et si l’on préfère aller le chercher dans le fait qu’au mois de mars 1917, non plus M. Clemenceau, mais un de ses prédécesseurs, eût pu utilement causer » de la paix, exploiter les dispositions favorables de l’Autriche, peut-être secondées en cachette par l’Allemagne elle-même, alors nous ne craignons pas de répondre : il n’y a pas à déplorer une erreur qui n’a point été commise, ni à regretter une occasion qui ne s’est jamais présentée. La véritable erreur eût été justement de prendre pour une occasion ce qui, au pis, pouvait être un piège, et, au mieux, n’était qu’un sondage. Mais, dit-on, l’Autriche-Hongrie ! Son ministre commun des Affaires étrangères ! L’Empereur en personne! M. Clemenceau a très opportunément évoqué d’autres démarches du même genre, à Rome, à Washington, à Londres, en Suisse, où l’ambassadeur autrichien comte Mensdorff-Pouilly avait rencontré le général Smuts, partout et toujours pour rien; en Suisse, terrain privilégié, où ce n’est pas seulement l’Autriche qui s’est évertuée à ouvrir des conciliabules. Mais il est un rapprochement, plus instructif encore, que M. le président du Conseil aurait pu faire. L’initiative de l’empereur Charles et du comte Czernin est le pendant exact, la répétition de la campagne que M. le prince de Bülow mena à Rome, trois mois durant, au printemps de 1915, afin de retenir l’Italie dans la neutralité, s’il ne réussissait pas à reconstituer la Triple-Alliance. Il promettait à tout venant le Trentin et Trieste, qui ne lui appartenaient pas, et que l’Autriche devait se charger de refuser. De même, l’Autriche cède sans peine l’Alsace-Lorraine, qui n’est pas à elle, et que l’Allemagne ne lâchera que lorsqu’elle lui sera arrachée. Écouter, dans ces conditions, était déjà beaucoup ; parler, eût été niaiserie. Et niaiserie