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avec la France, si ce n’étaient les aspirations françaises vers l’Alsace-Lorraine. On répondit de Paris qu’il n’était pas possible de négocier sur cette base. Dès lors, on n’avait plus le choix : la lutte formidable à l’Ouest est déchaînée. Les troupes austro-hongroises et allemandes combattent côte à côte, comme elles combattirent la Russie, la Serbie, la Roumanie et l’Italie. Nous combattons ensemble pour la défense de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne. Nos armées prouveront à l’Entente que les aspirations françaises et italiennes sur nos territoires sont des utopies appelant une vengeance terrible. »

Ce discours était à peine prononcé que la presse tout entière de Vienne et de Berlin, d’Autriche et d’Allemagne, faisait des gorges chaudes et s’esclaffait d’un gros rire germanique sur la mésaventure de ce matamore, de ce Fierabras, de ce Capitaine Fracasse, de cet avale-tout-cru de Clemenceau que ses airs avantageux n’avaient pas empêché de solliciter la paix, par peur de l’offensive allemande. Mais on lui avait bien fait voir de quel bois on se chauffait, et qu’il était des forêts du roi de Prusse. La paix, soit; mais à une condition : pas d’Alsace-Lorraine. L’Autriche-Hongrie était aussi ferme à ne pas céder l’Alsace-Lorraine à la France pour le compte de l’Allemagne, qu’à ne pas céder à l’Italie, pour son propre compte, les terre irredente. M. Clemenceau en avait donc été pour sa courte honte : et comme l’opinion publique n’eût pas toléré qu’on envisageât la paix sans l’Alsace-Lorraine, il lui avait fallu battre piteusement en retraite. C’était « comique! » Et les lourds brocards d’alterner avec les déductions pédantesques sur la fatigue de l’Entente, la commisération hypocrite : « pauvre France ! » les insinuations calomnieuses à l’Angleterre trompée, et qui, du reste, méritait de l’être pour son despotique égoïsme, à l’Italie lâchée, et qui ne l’était, du reste, que par un juste retour des choses d’ici-bas. Mais n’y a-t-il pas quelque proverbe indien qui dit, ou à peu près, qu’il ne faut pas marcher sur la queue du tigre, si l’on ne veut pas qu’il allonge la patte, et que ses griffes sortent? Le papier n’avait pas bu l’encre avec laquelle avait été imprimée l’extravagante harangue du ministre austro-hongrois des Affaires étrangères, que M. le comte Czernin en faisait l’expérience. Il recevait en plein visage la patte armée de grilles. « Le comte Czernin a menti, » tranchait M. Clemenceau. A demi assommé, l’imprudent ministre de l’empereur Charles balbutiait : « Il est répondu ce qui suit à M. Clemenceau. Sur l’ordre du ministre autrichien des Affaires étrangères, le conseiller de légation, comte Nicolas Revertera, a eu, en Suisse, plusieurs