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de 1875, il est visible qu’il veut se rapprocher de l’Autriche alors qu’elle vient de s’allier à l’Allemagne ; il envoie à Vienne le grand-duc héritier et sa femme ; il est de plus en plus convaincu que l’entente qu’il cherche à fortifier en s’y associant est une garantie pour la paix européenne. Le chancelier Gortschakoff est du même avis ; il dit au général Chanzy :

« Les angles s’arrondissent et j’ai pu constater avec plaisir que le calme est désiré en Autriche et en Allemagne autant que chez nous. Il nous faut avant tout nous occuper des affaires intérieures et porter un remède efficace à une situation qui ne peut durer sans grand danger pour le pays. Nous avons acquis la certitude que l’Europe désire la paix ; elle sera assurée si chacun y met du sien. On ne peut plus maintenant croire sérieusement aux dangers qui viendraient de la Russie. »

Le langage du chancelier s’inspirant toujours de la volonté impériale, on peut voir dans ces paroles l’image de l’état d’âme d’Alexandre à cette époque en ce qui touche l’Allemagne. Mais en 1880, cet état d’âme s’est modifié ; l’Empereur ne peut n’être pas frappé par la communauté de vues qui existe sur presque toutes les questions entre Paris et Berlin, et il se demande si elle n’est pas dirigée contre lui quant aux questions orientales.

S’il regarde du côté de la France, il y relève d’autres motifs de s’inquiéter et même de prendre ombrage plus qu’il ne convient de certains incidens qui se produisent ici et là. Le plus grave en cette même année fut ce qu’on a appelé l’affaire Hartmann. On sait que ce personnage était l’auteur de l’attentat du Palais d’Hiver. Après avoir accompli son crime, il s’était réfugié à Paris où le gouvernement français l’avait fait arrêter. Sollicité de le livrer à la police russe, le ministère Freycinet s’y était refusé, alléguant qu’entre la Russie et la France n’existait pas de traité d’extradition pour les crimes politiques. L’affaire avait fait grand bruit et le Tsar s’était offensé de ce refus. Il le fut encore davantage en apprenant que le Cabinet de Paris avait laissé Hartmann se réfugier en Angleterre. Assurément, en agissant ainsi, le Cabinet de Paris était dans son droit ; Alexandre n’en fut pas moins blessé ; il rappela son ambassadeur le prince Orloff, et la situation serait devenue fort périlleuse si le gouvernement français avait agi de même ; mais il eut la sagesse de ne pas rappeler le général Chanzy et de feindre de croire que l’ambassadeur russe était parti pour