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complices. Il les a faits, dit-il, moins encore pour bénéficier de la clémence impériale que dans l’espoir d’arrêter l’effusion du sang si le gouvernement n’use pas de représailles : « Je me dévoue pour tous, a-t-il écrit, espérant que je serai la dernière victime de ces tristes événemens. S’il en était autrement, chaque goutte de sang de mes frères serait de nouveau payée par celui de leurs bourreaux. » Les réponses de l’un de ses complices sont encore plus énergiques et plus significatives ; elles constituent un ultimatum précédant une déclaration de guerre.

Jusque-là, les nihilistes avaient respecté la vie de l’Empereur ; ils ne s’étaient attaqués qu’à ses agens qu’ils accusaient d’opprimer le peuple. Mais ils ne renonçaient pas à le frapper lui-même. Le 14 avril 1879, dans la matinée, il se promenait suivant son habitude devant le ministère des Affaires étrangères, lorsqu’un passant tira sur lui, par deux fois, sans l’atteindre. C’était un étudiant nommé Solowief, âgé de vingt-deux ans, fils d’un fournisseur du palais. Arrêté aussitôt et interrogé, il refuse de répondre, en disant : « Si je faisais le moindre aveu, je serais tué même dans cette prison. » Le lendemain, sur le mur devant lequel avait eu lieu l’attentat, on pouvait lire cette inscription : « Ce qui est différé n’est pas perdu. »

La prophétie se réalise quelques mois plus tard. Le 29 novembre, l’Empereur était parti pour Moscou et son train suivant l’usage devait être précédé de celui qui transportait les fonctionnaires et agens de la police chargés d’assurer la sécurité de la route. Par une circonstance fortuite et un heureux hasard, le train impérial partit le premier, et c’est sous le second qu’à son arrivée à Moscou, où le souverain avait déjà débarqué, une mine fit explosion. Il y eut plusieurs victimes ; les recherches auxquelles on se livra aussitôt firent découvrir sur le théâtre du crime une tranchée couverte mesurant quarante-sept mètres en longueur, qui reliait la voie ferrée à une maison voisine où l’appareil homicide avait été dressé. L’Impératrice, dont la santé fragile exigeait des soins minutieux et permanens, était alors à Cannes. Echappé presque miraculeusement au complot ourdi contre lui, Alexandre s’empressait de le lui faire savoir. Elle répondait par deux télégrammes qui attestent sa confiance dans la miséricorde divine et le