cou. Le 20 novembre, au soir, il arrivait à Ponte-Molle, au lieu même où Constantin avait défait Maxence. Cette terre d’Italie, toute chargée d’histoire, a des préfigurations pour toutes les péripéties, des présages pour tous les destins. Comme il se sentait recru de fatigue et mal vêtu, il ne se souciait pas de se montrer publiquement dans Rome. Il méditait de s’y faufiler, de nuit, lorsque des gens du Pape venus à sa rencontre l’arrêtèrent. Jules II ne l’entendait pas de cette oreille. Une victime des Borgia revenant en triomphe, c’était un spectacle dont on ne pouvait priver les Romains. Il fallait faire une entrée solennelle. Mais l’acteur principal n’avait pas de costume !… Qu’à cela ne tienne ! On lui apportait un pourpoint brodé d’or, et une mule harnachée de velours violet, avec bordure dorée de toute beauté, était mise à sa disposition. Pas de cortège ?… Il aurait, pour l’accompagner, la Maison du Pape et le capitaine de sa garde. Il dut céder à ces instances.
Ce fut donc le lendemain, en plein jour et aux salves répétées de toute l’artillerie du fort Saint-Ange, que le duc d’Urbino fit son entrée dans la Ville Éternelle, mais changeante, où, deux mois avant, il eût été infailliblement pendu. Guidé par le maître des cérémonies, il se dirigea vers la maison d’un certain Mario Merlini, où l’on avait accoutumé d’héberger les hôtes de distinction qui n’avaient pas leurs appartemens au Palais. Mais c’était une fausse manœuvre. Le Pape, qui ne l’avait pas compris ainsi, l’attendait en personne, entouré de ses cardinaux au pied de l’escalier du Vatican. Ne le voyant pas venir, il se mit dans une de ces colères qui sont restées légendaires et l’envoya chercher. Il fallut que le malheureux voyageur, fourbu de tant d’honneurs, se remit en selle, la nuit tombée, aux torches, pour redescendre devant les degrés pontificaux, et recevoir, toute la nuit, les congratulations du Sacré Collège, car « quiconque, dit un chroniqueur, voulait être dans les bonnes grâces du Pape, faisait sa cour au duc. »
Jules II ne s’en tint pas là. Il était l’ami de Montefeltro et le vengeur de ses disgrâces, mais il ne l’avait pas fait venir uniquement pour le donner en spectacle et être désagréable aux Borgia. Il entendait bien en tirer mouture. L’ancien proscrit, que Venise avait accueilli aux jours les plus sombres et qu’elle protégeait ouvertement depuis quelque temps, devenait