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traces curieuses de l’influence de la Flandre. On les trouverait chez Chardin autant que chez La Tour, surtout chez ce versatile Boucher et chez le grand impressionniste Frago, qui a fait tout exprès le voyage des Pays-Bas pour voir Rubens, Rembrandt et van Ostade chez eux. Visible ou latente, plus ou moins transformée, atténuée, volatilisée, l’inspiration des grands « coloristes » flamands circule dans toutes ces œuvres de la peinture française : mais la note essentielle, jusqu’au bout de ce siècle qu’il avait inventé, deviné sans l’avoir connu, est toujours l’esprit voluptueux, le souffle, le rêve de « jeune malade, » la chimère de désir que lui a laissés Watteau.


V

Je me borne à esquisser la suite. Il serait trop long de suivre, à Bruxelles où à Liège, les réactions, souvent charmantes, des influences venues de Paris ; il y aurait un chapitre à écrire sur le mobilier, les faïences, dont on trouverait les élémens au musée du Cinquantenaire ou au Musée Liégeois. Beaucoup de choses, qui ne se trouvent ni dans les textes des écrivains, ni dans les œuvres du grand art, s’expriment par ce détail des objets qui accompagnent la vie commune. Une chaise, une armoire sculptée, une assiette peinte en disent souvent plus long que beaucoup d’œuvres plus ambitieuses. On verrait combien à cette date la bourgeoisie flamande, autant que la bourgeoisie wallonne, est imprégnée de vie française.

Et puis, c’est la révolution antique du temps de Louis XVI, révolution du goût qui précède de peu l’autre. En 1785, c’est le Salon des Horaces : l’empire de David commence, — avec quel tyrannique, quel fanatique génie ! Comme tout ce qui tient de Rousseau, la réforme artistique emprunte un caractère de révélation religieuse. Jamais art ne fut salué avec plus de transports. David apparaît comme le prêtre d’un système de vie, qui va s’imposer brusquement dans les lois, dans les mœurs, jusque dans le costume et les meubles, transformer la société entière selon un idéal de « nature » républicaine et Spartiate. Aucun maître depuis des siècles n’avait suscité tant d’ardeurs et tant d’enthousiasmes. Parmi la foule de ses élèves, dans cet atelier du Louvre où il prépare les Sabines et dont le bon Delescluze nous fait un si vivant tableau, on accourt de toute l’Europe, mais