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Mais tandis que le goût se forme et que l’école devient plus habile, qu’elle acquiert plus d’assurance par l’importance de ses ouvrages, et qu’elle y prend conscience de son indépendance, on assiste à un curieux revirement des idées. Les esprits s’émancipent et supportent impatiemment la tutelle des maîtres. L’Italie et l’antiquité ne sont plus des modèles dont l’imitation soit la fin suprême de l’art et la condition du beau. Qu’ont-elles fait après tout qui vaille le Louvre et les Tuileries, et cet étonnant Versailles ? La France n’est-elle pas assez grande pour se passer d’exemples ? Devra-t-elle chercher toujours des modèles étrangers et ne saurait-elle trouver en elle-même, sans prendre conseil d’autrui, le genre d’art qui lui convient ? Lui faudra-t-il éternellement prendre le mot d’ordre à Rome, et vivre sur des règles faites pour les contemporains d’Auguste et de Marc-Aurèle ? N’est-il pas temps pour elle de sortir des bancs de l’école et de penser pour son compte, sans se soucier des gens d’il y a deux mille ans ?

Il ne saurait convenir ici de refaire l’histoire de cette dispute fameuse qui a rempli la fin du siècle, et qui est la querelle des Anciens et des Modernes. « Les anciens sont les anciens, et nous sommes les gens de maintenant ! » s’écrie déjà Molière, en réponse aux critiques qui lui jettent Horace et Aristote à la tête. Mais cette grande querelle littéraire a eu son côté artistique, et celui-ci nous intéresse davantage[1]. A mesure que Rome perd de son autorité, Anvers et Amsterdam gagnent en importance. L’intérêt politique qui se déplace vers le Nord et fait des Pays-Bas l’axe de toutes les grandes questions contemporaines, agit puissamment, il faut le dire, dans le sens des curiosités et des idées nouvelles. Rien ne vaut, hélas ! une bonne guerre comme leçon de géographie. Les guerres d’Italie ont plus fait que tous les commerces pacifiques pour répandre en France les idées et les goûts de la Renaissance ; les campagnes de Hollande eurent un effet analogue pour la France de Louis XIVe On apprend que le monde est plus vaste qu’il n’est dit dans les livres ; qu’il y a. sous le ciel une grande diversité de mœurs, et surtout plus d’une forme de l’art et de la beauté. La beauté n’est pas « une, » comme l’enseignent quelques professeurs qui se font l’illusion que la tragédie de Racine est sœur

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1907.