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de Greco, de Hals, de van Dyck, — la monographie d’une grande famille spirituelle, d’une tribu sainte.

Et le jour où la fille du peintre, après une neuvaine, recouvra la santé, ce jour-là le père, le croyant, l’artiste se réunirent pour un chef-d’œuvre. Qui ne connaît la page admirable où deux religieuses en prière, dans une cellule grise, en robes et en guimpes grises, semblent transfigurées par l’attente du miracle, par la foi qui les illumine comme deux lampes d’albâtre ? Mais je sais dans une salle du musée de Rotterdam quelque chose de plus beau encore : un autre tableau intime où deux adolescens, le neveu du peintre et le graveur Flatte Montagne sont assis, l’un rêvant, dessinant, tandis que le second accompagne la rêverie de son ami du chant de son violoncelle. Dans ces graves harmonies grises, parcimonieuses, le peintre a fait tenir les modulations d’un concert intérieur et des accords plus rares que ceux qu’il obtenait jadis des satins et des pourpres ; et dans ces notes basses, extraordinairement riches avec très peu d’écart, s’exhale toute la musique d’un cœur austère et pur, toute la poésie de Philippe de Champagne, « bon peintre et bon chrétien. »

Mais, si Champagne est le plus illustre et le plus « naturalisé » de ses pareils, quo l’humeur nomade, l’espoir de s’instruire ou de réussir, attirent hors du pays, il est bien loin d’être le seul qui se fixe chez nous et y fasse une longue carrière. Paris est plein à ce moment de Flamands qui y forment une espèce de tribu. Ils font beaucoup de petits métiers plutôt que du grand art, s’embauchent comme sculpteurs en buis ou en ivoire, peignent des paysages, des fleurs ou des marines, ou simplement s’occupent du commerce des objets d’art : Watteau, un jour, tombera entre les pattes d’un de ces marchands, et c’est là qu’il fera ses débuts, en peignant des Saint-Nicolas.

Il nous reste sur ce coin du vieux Paris un document assez curieux, et qui représente sans doute assez naïvement ce qui a dû se passer cent fois. C’est l’histoire que Wleughels, — le camarade, l’ami de Watteau, — nous a faite des débuts de son père à Paris. L’histoire est amusante, et fait penser à un chapitre de roman de Lesage.

Donc, le jeune Wleughels, natif d’Anvers, voulant s’illustrer dans son art, passe la mer et débarque à Londres pour chercher une place de rapin chez van Dyck. Van Dyck venait