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le flegme de son pays, une charmante candeur, placide et virginale. Il vient à Paris à dix-neuf ans, s’y marie et ne bouge plus guère. Pendant plus de vingt ans, jusqu’à la mort de Richelieu, il est avec Vouet le peintre le plus en vue et le plus occupé de l’école. De toute son œuvre décorative, au Luxembourg, au Palais-Cardinal, de sa galerie des Hommes illustres, de ses Allégories sur l’histoire du premier ministre, qui formaient une apothéose comparable à la galerie de Médicis, de tout ce qui faisait dire qu’il était l’ « Apelle de cet autre Alexandre, » rien aujourd’hui ne subsiste et ne subsistait déjà plus au XVIIIe siècle. A peine quelques portraits, comme le Richelieu du Louvre, sont encore là pour témoigner de ce que fut en son âge mûr le peintre officiel et l’artiste profane, le virtuose de la palette, habile à faire chatoyer les damas et les soies, heureux de l’accord somptueux des matières opulentes, et de manier ce style d’apparat qui est la majesté des œuvres du grand siècle. On comprend que le cardinal l’ait toujours préféré, « tout Flamand qu’il fût, à tous nos artistes français, parce qu’il était habile homme et que ses couleurs lui plaisaient très fort. » Vanité de la gloire ! Toute cette œuvre savante et peut-être admirable est aujourd’hui anéantie, et si le grand artiste est pour nous quelque chose de plus qu’un nom, c’est à cause de quelques pages intimes, sans luxe, sans publicité, faites pour des amis et pour de pauvres religieuses, et où le peintre simplement laisse battre son cœur.

J’ai conté naguère ici même[1] le pieux roman de Champagne et l’histoire touchante de sa rencontre avec Port-Royal. Sa fille y ayant pris le voile, le père se consacre au service de l’illustre maison. Le peu d’art humain qui éclaire ce jansénisme un peu morose, c’est à lui qu’on le doit. Il nous laisse surtout une galerie inestimable des hommes et des femmes qui formèrent cette grande école d’héroïsme religieux. Ces portraits graves, sans ornement, sans « effet, » sans sourire, ne valant que par l’accent et le prix des physionomies, le magnifique Saint-Cyran, le doux Sacy, l’ardent et bouillant d’Andilly, et les femmes, la mâle Angélique, la forte Agnès, l’incomparable ensemble de la collection Gazier, forment un répertoire qui vaut pour l’histoire de l’âme humaine les plus nobles séries

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1909.