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étaient, comme on sait, trois frères, Pol, Hermant et Jeannequin, « les trois frères enlumineurs, » dit un contemporain qui les regarde comme une des curiosités de Paris, — s’il est vrai que ces trois frères s’appelaient Malouel et étaient neveux de Jean Malweel, on voit une fois de plus comment progresse une tradition, d’une génération à l’autre, dans une même famille d’artistes ; et l’on voit un nouvel exemple de ce que la Renaissance des arts doit en Flandre et en France à ces deux maisons-sœurs de Bourgogne et de Berry.

À cette date, au début du siècle, toutes les idées, toutes les formules de la Renaissance sont prêtes : tout s’est élaboré autour de la couronne de France, et l’art a commencé à produire des chefs-d’œuvre. Tout semble présager l’approche de l’âge d’or. Les circonstances politiques en décidèrent autrement ; le cours des choses fut détourné. La folie du Roi, Azincourt (1415), les troubles qui suivirent, font brusquement déchoir Paris du rôle qu’il tenait depuis le règne de Charles V. Jamais la France, la monarchie ne subirent plus terrible assaut. Les arts désertent pour longtemps la ville ruinée. Au contraire, le duché de Bourgogne s’accroît et prospère de toute la puissance qui échappe à la France. Le centre des arts se déplace et se fixe à Bruges et à Gand. Et en 1432, le retable de l’Agneau mystique inaugurait à Gand, par une œuvre immortelle, l’ère de la vraie école « flamande. »

L’œuvre est trop connue pour en parler encore, au bout de si longtemps qu’elle exerce l’admiration et les commentaires des critiques. C’est un de ces ouvrages qui sont un résumé du monde ; il déborde à la fois de vie religieuse et de vie naturelle. Il domine pour plus de cent ans l’histoire de la peinture : Flandre, France, Allemagne, Espagne, Italie même, lui doivent quelque chose. On peut dire qu’il a fixé jusqu’au milieu du XVIe siècle les destinées de la peinture. Longtemps la naissance d’une telle œuvre a paru un mystère. Sans nier, en effet, ce qu’a toujours de mystérieux une œuvre du génie, ne peut-on dire toutefois que le problème désormais se trouve en partie éclairci ? Inexplicable et quasi miraculeux, tant qu’on lui cherchait des ancêtres en Flandre, ce chef-d’œuvre se trouve être le terme d’un travail séculaire qui s’est accompli ailleurs ; et l’Italien Facio n’en a-t-il pas le sentiment, lorsque, parlant vers 1450 des tableaux de Jan van Eyck qui déjà se trouvaient