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II

Un fait capital allait resserrer encore les liens des deux écoles, compléter la fusion : la Flandre, rattachée à la couronne de France, va revenir par héritage à la maison de Bourgogne. En 1367, Philippe le Hardi, frère de Charles V, épouse Marguerite de Flandre, fille unique du comte Louis de Male, laquelle lui apporte en dot les comtés d’Artois, de Rethel, de Nevers et le comté de Flandre, « le plus grand, riche et noble qui soit en chrétienté. » En 1383, à la mort de Louis, son gendre devient comte de Flandre. Ce n’est pas le lieu d’insister sur un fait politique qui devait dominer l’histoire pendant un siècle et développer des conséquences qui n’étaient pas éteintes au temps de Charles-Quint. On ne peut étudier ici ce phénomène, cette subite excroissance d’un État parasite qui devint une si grave menace pour la vie nationale ; nous ne nous occupons ici que des résultats artistiques.

Le nouveau comte de Flandre n’a pas la réputation d’amateur raffiné qu’a laissée son frère de Berry. Tous ces Bourgogne sont fameux surtout par un amour du faste et de la vie plantureuse, par la magnificence de leurs joailleries, par la pompe de leurs festins et la recherche de leurs « entremets, » par leurs réceptions « à tables habandonnées, » par le luxe copieux des viandes et des vins ; Taine fait de leurs fêtes, de leur train de vie, de leurs cuisines un tableau gargantuesque, d’une verve magnifique, à la manière de Jordaens. Il nous montre dans les inventaires leur vaisselle inouïe, les pierres, les métaux précieux, « ce large ruisseau d’or qui coule, chatoie, s’étale et ne s’arrête pas. » Il nous donne l’impression d’un immense débordement de matérialisme, d’un épanouissement ou d’une symphonie de toutes les sensualités. Cette peinture célèbre risque peut-être de nous induire en erreur : les détails sont pris pour l’ensemble. Les choses ne sont pas à leur plan. Sur un catalogue d’archives, les pièces d’orfèvrerie occupent plus de place qu’un château. Sans doute, presque tous les monumens de la maison de Bourgogne ont disparu : on se figure ainsi qu’ils n’avaient que peu d’importance. Nous en jugerions autrement, si nous les avions conservés.

En fait, de tous ces monumens de la grandeur