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fonction de la Flandre, de produire automatiquement des peintures réalistes, ainsi qu’un pommier fait des pommes. Que n’a-t-on pas écrit sur ce « génie du Nord » opposé au génie latin, et sur l’intimité, la bonhomie, la cordialité du premier, par contrasta à la rhétorique et au paganisme du second ? Faut-il rappeler les pages que Taine et Fromentin ont consacrées à ce cas classique des variations de l’art considéré comme résultante de la race et du « milieu ? »

Or, ce naturalisme, qui est la grande vertu de l’école flamande, qui est devenu la marque de l’école hollandaise et s’est communiqué dans la suite à l’Espagne, — laquelle n’est sans doute réaliste en peinture que pour avoir été l’élève de la Flandre, — ce naturalisme n’est pas une des qualités inhérentes à ce pays et comme un attribut spécial de la race. Il existe, et il a toujours existé, une Flandre qui n’est nullement « naturaliste. » Et ce qu’elle a de naturaliste, ou peut dire qu’elle se l’est donné parce qu’il lui a plu ainsi, par un choix de son goût et de sa volonté, et qu’elle en a reçu les premières leçons et les exemples de Paris.

Depuis le XIIIe siècle, en effet, l’art français est en possession de régner seul dans le monde ; il couvre la chrétienté entière, et jusqu’à l’Orient, d’églises et de palais de ce style gothique, dont le vrai nom est le style français. La Flandre, d’ailleurs vassale de la couronne de France, n’a pendant tout ce temps aucune vie artistique indépendante ; c’est en vain qu’on chercherait chez elle des traces ou des indices de ce goût réaliste qui devait faire un jour sa gloire. Le peu de monumens de cette époque qui ont survécu aux tempêtes iconoclastes du XVIe siècle ne montre qu’un reflet de l’art de nos imagiers ; même les figures funéraires, comme celle du duc Henri, qui se voyait avant la guerre au chevet de l’église Saint-Pierre de Louvain, ne sortent pas de cette convention idéale qui est alors la règle de la sculpture française. On trouve en Flandre, à Bruges, à Tournai ou à Liège, plus d’une œuvre remarquable et d’une élégance charmante ; rien n’y annonce encore d’école originale.

Mais cet art si pur du XIIIe siècle, le plus attique, le plus parfait qui ait paru depuis la Grèce, ne devait durer qu’un moment. Une révolution profonde va l’emporter bientôt. Ce sera l’œuvre du siècle suivant, siècle plus trouble, d’une unité