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formidable vacarme[1]. « Cent canons Krupp, tonnant à la fois, affirme un témoin, n’étaient rien en comparaison des hurlemens poussés en ce moment[2]. » « Pas d’insolence[3], » répétait, avec une gesticulation forcenée et grotesque, au pied même de la tribune, un vieillard que son âge aurait dû préserver d’une aussi indécente manifestation ; c’était le baron Adalbert Nordeck zur Rabenau, député de Giessen, dans le grand-duché de Hesse. « Le chevalier hessois, raconte un témoin allemand, — le correspondant de la Frankfurter Zeitung, — criait d’une façon que seule la considération que nous avons pour ses cheveux blancs nous empêche de qualifier. C’est en vain que ses voisins l’avertirent, c’est en vain que le président lui fit des signes multiples pour l’engager à se calmer ; comme il ne s’arrêtait pas dans sa fureur, au moment même où M. Delbrück descendit dans l’arène pour mettre un terme au scandale, le président envoya le secrétaire Weigel qui prévint le ministre, saisit le chevalier par le bras et l’entraîna dans un coin où il parvint à grand’peine à le calmer. »

« Le chevalier Nordeck, ajoute le même témoin, était le plus violent, mais non pas le seul violent… Le prince Lichnowsky et le comte Arnim-Boytsemburg occupaient les premiers fauteuils du côté des « conservateurs libres, » et ces rejetons de l’ancienne noblesse se conduisirent comme ne s’était jamais conduite la suite de Toelke. Quand, une fois, le comte Arnim, préfet de Metz, interrompit l’orateur, sans motif sérieux, par un rire strident, celui-ci lui cria : « Votre « rire nous honore, monsieur ! » le comte baissa aussitôt la tête, honteux de lui-même[4]. »

Au milieu du bruit et de l’excitation générale, Bismarck lui-même avait abandonné son calme apparent, interrompu son attentif travail d’écriture et levé la tête pour hurler avec les loups et pousser, lui aussi, de forcenés : « Ah ! Ah ![5]. »

Mais de sa forte voix, l’Alsacien Teutsch, — après un rappel

  1. Le Monde, 23-24 février, d’après la Frankfurter Zeitung.
  2. Le XIXe Siècle, mercredi 25 lévrier.
  3. Stenographische Berichte. M. Florent Matter, directeur de l’Alsacien-Lorrain de Paris, a publié dans un numéro spécial (n° 272, année 1918) le texte complet du discours de M. Teutsch.
  4. Frankfurter Zeitung, 19 février 1874, reproduit par le Monde'', 23-24 février. Le XIXe Siècle, lundi 2 mars ; Même scène contée par son correspondant.
  5. Le XIXe Siècle, lundi 2 mars, lettre d’Alsace.