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butte à des rodomontades toutes prussiennes. J’ai été frappé notamment à la vue d’un monsieur qui l’attendait au pied même de la tribune et qui, le regardant fixement, d’un air insolent, lui dit en frisant sa moustache : « Et surtout, monsieur, pas d’insolence ![1] » Ces obstacles surmontés et la tribune enfin conquise, M. Teutsch, très calme, de sa taille imposante, dominait l’orage et le bruit.

La requête relative à l’usage de la langue française fut, comme on le peut penser, rapidement écartée. Ne pouvant donc s’exprimer dans sa langue maternelle (terme qui excita dans l’auditoire un murmure de mécontentement), M. Teutsch, après s’être excusé de son peu d’habitude de la langue allemande et avoir soulevé par-là d’ironiques protestations, commença la lecture de son discours, traduit, expliqua-t-il, d’un texte d’abord composé en français.

Son manuscrit en main, M. Teutsch s’en servait comme d’une sorte d’écran contre les regards hostiles et les injurieuses exclamations de la horde aboyante pressée au pied de la tribune et dressée face à lui[2].

Avec une constante insistance, tourné vers le banc des ministres, il s’adressait à M. de Bismarck, comme parlant pour lui seul. Celui-ci, feignant l’indifférence, affectait d’écrire, sans écouter ni lever la tête[3].

« Les habitans de l’Alsace-Lorraine, déclarait l’orateur au milieu des murmures et du tumulte déchaînés dès ses premières paroles, les habitans de l’Alsace-Lorraine, que nous représentons ici, nous ont confié une grave et rigoureuse mission, dont nous voulons nous acquitter en conscience. Nous avons le devoir de vous exprimer les sentimens de nos électeurs au sujet de ce traité qui, après votre dernière guerre contre la France, leur a violemment ravi leur patrie. L’intérêt même de l’Allemagne est de nous entendre. Par le sort de la guerre, votre victoire vous donnait incontestablement le droit d’exiger une indemnité. Mais l’Allemagne a dépassé la limite des droits d’une nation civilisée… »

A peine ces mots étaient-ils prononcés que l’orage éclatait : cris furibonds, coups de pieds roulant sur le plancher,

  1. Le XIXe Siècle, mercredi 25 février, lettres de Berlin.
  2. Le XIXe Siècle, lundi 2 mars.
  3. Le Moniteur Universel, 21 février.