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dans la crypte où ils reposent, le maréchal Lannes et le général Marceau, Lazare Carnot l’organisateur de la Victoire et le capitaine La Tour d’Auvergne, se lèveront ainsi à l’entrée de ce jeune homme. Victor Hugo reconnaîtra l’un des chevaliers errans de sa Légende des siècles et Berthelot tiendra sa venue pour un hommage rendu à l’ardeur qui brûle la jeunesse pour la science ensemble et la patrie. Mais celui qui fera le plus long chemin à sa rencontre, et avec le plus d’élan, ce sera son frère aîné, ce Marceau tué à Altenkirchen à vingt-sept ans.

Remontant le Rhin, il y a dix ou douze ans, je me souviens d’un pèlerinage à la tombe de Marceau, dans le voisinage de Coblence, au-dessus de la Moselle. Dans un petit bois, une pyramide noire porte cette indication en lettres d’or qui s’effacent : Ici repose Marceau… soldat à seize ans, général à vingt-deux, mort en combattant pour la patrie le dernier jour de l’an IV de la République française. Qui que tu sois, ami ou ennemi, de ce héros respecte les cendres.

Les tombes collectives de prisonniers français décédés en 1870-71 au camp de Pétersberg sont rassemblés dans le même enclos. À l’âge où Marceau dessinait à grands traits rapides les contours de sa vie immortelle, ces soldats sans gloire achevaient de mourir. Sans le savoir, après trois quarts de siècle, les Allemands avaient complété le mausolée en rangeant à l’entour ces mortelles dépouilles. Car il convient que soit représentée, auprès des chefs, la troupe anonyme sans laquelle les héros seraient inconcevables, réservoir profond où la force de la race s’alimente.

En 1889, les restes de Marceau furent transportés au Panthéon. La pyramide noire de Coblence ne recouvre qu’un souvenir. Les restes de Guynemer ne seront jamais retrouvés. La terre a refusé de les recevoir. L’air, qui lui appartient par droit de conquête, les a, par miracle, gardés. Ils ne pourront pas être ramenés, suivis de tout un peuple amoureux, sur la montagne qui fut jadis consacrée à sainte Geneviève. Mais sa vie légendaire s’accommode de sa mystérieuse mort.

L’une des fresques de Puvis de Chavannes, au Panthéon, la dernière à gauche, représente une vieille femme qui s’appuie à une terrasse de pierre et qui, de là, regarde au-dessous d’elle la ville éclairée par la lune dont les lueurs jouent dans la nuit bleue sur les toits des maisons et sur la lointaine plaine. La Cité