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Un mot, qui résume le reste, domine et s’impose. À cette date du dimanche 24 mars, la situation est « grave. » Dans la matinée, le bruit s’était répandu qu’un radio allemand portait : « Nos objectifs ayant été atteints, la première partie des opérations peut être considérée comme terminée, » et l’on en avait tiré une conséquence favorable. Mais, dans l’après-midi, M. Clemenceau, président du Conseil, faisait lui-même connaître que la situation demeurait « très sérieuse. » La vérité est qu’en effet la première phase de l’action était close, bien que les Allemands n’eussent pas atteint leurs objectifs, ou ne les eussent atteints qu’en partie ; mais que, justement parce qu’ils ne les avaient atteints qu’en partie, une seconde phase allait s’ouvrir, dans laquelle ils allaient continuer de les poursuivre, ou, les modifiant selon la pente des événemens, essayer d’en atteindre d’autres.

Dans cette seconde phase, c’est-à-dire dans les deux journées du 24 et du 25 mars, l’ennemi voudrait « arriver à toute vitesse sur Amiens » et « rompre la charnière » qui unit les armées alliées. Du 21 au 23, les colonnes allemandes avaient marché au Sud-Ouest « suivant des axes sensiblement parallèles, » tracés, à droite, par la route Cambrai-Bapaume ; à gauche, par la route La Fère-Chauny-Noyon. Maintenant, on leur a donné comme axe de marche la Somme, et elles avancent par les deux rives : au Nord, par la route Bapaume-Albert, et, le long de la rivière, par le chemin Péronne-Bray-Corbie ; au Sud, par la route Vermand-Brie-Villers Carbonnel-Estrées. Le 26 au soir, l’ennemi occupait Albert et en tenait la lisière Ouest, mais n’en avait pas débouché ; s’il avait un moment poussé jusqu’à quelques kilomètres de Corbie, — petite ville fameuse dans l’histoire de toutes les invasions, — il en avait été chassé par un retour offensif, et « il faisait approximativement une ligne Nord-Sud d’Albert à l’Ouest de Bray. » Dès le 26, à Albert, « on avait l’impression que l’ennemi ne pressait pas très énergiquement ; » cette impression restait la même, le 27. La troisième phase de la bataille était commencée, et l’on peut marquer là le renversement du drame, la péripétie.

À la gauche de l’ennemi, les troupes françaises venaient d’entrer en scène. Montant du Sud et s’étendant progressivement vers le Nord, elles se substituaient peu à peu à la Ve armée britannique, qui se retirait vers l’Ouest. Relève toujours difficile, minute toujours critique, mélange et flottement, incertitude et trouble au fort du combat. Les Allemands en ont profité pour lancer une attaque massive, brutale, farouche, contre le nouveau secteur français, et chercher par une rupture sur le front Roye-Noyon la décision qui leur échappait sur la