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pas qu’on prenne son essai pour une étude et lui pour un critique.

Quel métier fait-il donc ? C’est la question qu’il pose, et qu’il rougirait de résoudre, — si vous supprimez un problème, vous diminuez d’autant l’incertitude ; et c’est dommage : — il ne résout pas la question, mais il s’approche d’elle et il l’embellit de quelques ornemens. Il se souvient, dans la préface du tome deuxième, d’avoir passé une saison très agréable, sous les sapins du Hohwald. Et il s’émerveillait, pendant ses promenades, de trouver un banc rustique « à chaque point où l’ombre est plus douce, la vue plus étendue, la nature plus attachante. » A l’imitation des obligeans villageois d’Alsace, qui ménagent au promeneur le repos et la contemplation la meilleure, il se propose d’accomplir, au pays de l’esprit, dans les bois sacrés et près des fontaines des muses, la tâche d’un « Sylvain modeste : » il placera des bancs aux bons endroits de la littérature. Est-ce là de la critique ? Non pas. Il abandonne au « savant du village » et à l’« arpenteur » le soin de « mesurer la route et poser les bornes milliaires. » Ces pauvres gens, l’arpenteur et le savant du village, ce sont les critiques. On le voit, la modestie du sylvain s’anime ou s’animerait de quelque dédain, si la nonchalance ne le détournait d’un sentiment inutile et vite importun. Guy de Maupassant publie son roman de Pierre et Jean, qu’il a muni d’un avant-propos où le romancier dicte au critique ses devoirs et néglige de définir les devoirs du romancier : c’est qu’à son avis le romancier n’a que des droits, et tous les droits, étant parfaitement libre ; mais le critique ne l’est pas. Le critique doit ceci, doit cela. M. Anatole France ne compte point asservir le romancier ; mais peu s’en faut qu’il ne proteste contre l’asservissement du critique. Et puis, avant d’aller à la révolte, il se ravise ; il songe que ces débats ne le concernent presque pas : « Je ne fais guère de critique, à proprement parler... » Et il admire, à loisir, Pierre et Jean.

Mais la critique veille : celle qu’a semoncée l’auteur de Pierre et Jean, celle que M. France n’a pas beaucoup défendue. Ferdinand Brunetière adresse à M, France les mêmes reproches qu’à Jules Lemaître : et la réponse de M. France est analogue à la réponse de Lemaitre. L’un et l’autre se donnent pour idéalistes et peu crédules à la réalité. Ils ont, l’un et l’autre, à invoquer en faveur de leur doute le témoignage d’un ancien ; Lemaître dit : « l’homme est la mesure des choses ; » et M. France : « Nous sommes dans la caverne et voyons les fantômes de la caverne. » Et, comme Lemaître s’amusait à s’écrier : « Plût au ciel qu’il me fût possible de sortir de moi ! » pareillement M. France n’espère pas sortir de la caverne ; il n’en a