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ce plan en cours d’exécution et rendre plus que problématique, dans les conditions où la finance allemande l’avait entrepris en 1902, l’achèvement du Badgad-bahn, la grande artère de pénétration, destinée à livrer l’Asie antérieure tout entière à l’avidité germanique. Les Puissances de l’Entente ne toléreront pas que les Allemands reprennent, à la faveur de la paix, la poursuite de leurs desseins. Mais pour mieux les en empêcher, il est nécessaire que la Turquie soit en Asie la grosse perdante de la partie qu’elle a si imprudemment engagée.

Au reste, Constantinople, après l’avortement des projets du germanisme, serait dépouillée d’une grande partie de sa valeur et de son importance. La capitale des Empereurs et des Sultans posséderait toujours la clef des détroits, mais elle ne commanderait plus l’entrée de l’Asie. Le défunt gouvernement provisoire de Pétrograd avait eu une bonne inspiration, — la meilleure assurément qui lui soit passée par l’esprit, — le jour où il a renoncé aux prétentions du gouvernement précédent sur Constantinople. L’attribution du Bosphore et des Dardanelles à la Russie, du consentement de ses Alliés, avait éveillé, dès qu’elle a été divulguée, les craintes des autres riverains de la mer Noire, des Roumains aussi bien que des Bulgares. Ils préféraient de beaucoup avoir affaire aux Turcs comme portiers des deux passages, car avec eux il y avait toujours moyen de s’entendre. C’était généralement question de bakchich. Il semble bien difficile de leur substituer d’autres gardiens, à condition qu’ils se renferment dans l’exécution pure et simple de leur emploi. Mais une mesure de précaution, que réclame l’opinion publique, s’imposerait avant toute chose : la neutralisation et la liberté des détroits, et elles auraient besoin d’être surveillées par un contrôle sévère, qu’il appartiendrait aux Puissances d’organiser et de maintenir.