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VII

Quand on parle de la Bulgarie, il est impossible d’oublier la Turquie, ces deux ennemies mortelles s’étant transformées en amies inséparables par la grâce de Guillaume II. Un des spectacles les plus étranges de cette guerre n’est-il pas celui que nous offrent ces deux Etats, pratiquant l’un envers l’autre l’oubli des injures et le pardon des méfaits ?

A peine échappé au désastre de la guerre balkanique, le gouvernement des Jeunes-Turcs s’était livré pieds et poings liés à l’Allemagne. Hors d’elle, il ne voyait pas de salut pour l’Empire ottoman, je veux dire pour la bande d’aventuriers qui l’exploitait. La façon dont la Turquie s’est rangée du côté des empires centraux, après une brève comédie de neutralité, n’aura déçu que les gens ignorant les antécédens des Enver, des Talaat, des Djavid et de leurs acolytes. Mais il y a lieu d’admirer les illusions de ces Orientaux qui s’imaginaient, avec le concours d’officiers allemands, chasser les Anglais de l’Egypte, conquérir la Perse, menacer l’Inde, relever le prestige des Turcs aux yeux de l’Islam, en un mot redorer le Croissant. La perte de Bagdad, de la Palestine et de l’Arménie, le soulèvement de l’Arabie, n’ont-ils pas dissipé la confiance sans nuage qui régnait à Constantinople ? Talaat Pacha et Enver Pacha se sont vengés des défaites ottomanes par d’odieux massacres d’Arméniens, par le dépeuplement des côtes asiatiques, par des exécutions en masse de protégés chrétiens. Ils ont remplacé les victoires par des crimes, ce qui était plus dans leurs moyens. Dès lors, ils sont condamnés à disparaître. L’indignation de la conscience universelle et la colère des Turcs eux-mêmes, après qu’une guerre inutile aura achevé de ruiner et de démembrer leur pays, feront justice quelque jour de ces fous furieux.

Mais leur châtiment et l’établissement d’un régime réparateur ne résoudraient pas l’éternelle question d’Orient, et il n’est pas très vraisemblable que Constantinople change de maîtres à la restauration de la paix. Guillaume II avait imaginé une solution simpliste de la question d’Orient : l’exploitation de la Turquie par l’Allemagne, en laissant subsister la façade ottomane et le décor musulman des Etats du Sultan. L’occupation de la Mésopotamie par les troupes britanniques est venue bouleverser