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Un autre jour, tandis que les Gascons attendaient que Fregoso voulût bien se rendre, des nuées de paysans descendus des montagnes environnantes tombèrent sur eux, au lever de l’aube, les surprirent séparément chez l’habitant, en égorgèrent un bon nombre et dispersèrent le reste. Alors Remires en vint aux grands moyens : comme les défenseurs de San Leo avaient dû laisser au dehors leurs familles, il fit arrêter et conduire à Urbino leurs femmes et leurs sœurs, les menacjant des pires traitemens si les hommes ne se rendaient pas. Puis il se retrancha derrière une colline avec toute l’artillerie dont il disposait et se mit à battre les murs, espérant faire brèche. Mais ce fut en vain. Les grosses pièces de Fregoso répondirent et détruisirent, en un instant, vingt bombardes pontificales. Dans ce duel entre le lettré et le soudard, c’est le lettré qui se révéla le meilleur artilleur. Tout cela éternisait la lutte. « On peut monter à San Leo, » dit Dante, mais il le dit comme le dernier degré du possible, immédiatement avant l’impossible. En fait, ni le « mulet chargé d’or, » ni le soldat couvert de fer ne purent y entrer. Sur le mont du saint ermite et de Jupiter Feretrius, l’aigle des Montefeltro planait toujours.

En recevant ces nouvelles, Guidobaldo reprenait espoir. Il saisissait sa bonne plume et écrivait à ses fidèles des lettres d’encouragement. C’est peu de chose qu’une lettre de Prétendant, quand on sait que le Prétendant ne la suivra jamais : c’est beaucoup quand il a prouvé qu’il est homme à paraître, à l’improviste, dans la bagarre. Malgré la bonne garde que faisaient autour de la ville les soldats de Borgia et ses innombrables espions, les messages de Guido touchaient ses sujets. La conspiration était en permanence. En apparence et pour l’étranger, que César endoctrinait avec une imperturbable assurance, la paix régnait dans les Marches et les Romagnes, et l’État d’Urbino était solidement enchaîné à la barque de Saint-Pierre. En réalité, il ne tenait qu’à un fil.

Robert de la Sizeranne.