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pour la capitale. Il a le loisir de songer à tous ceux que la trahison ou la lâcheté des neutres a livrés à César Borgia. Ils sont nombreux. En va-t-il accroître le nombre ? Il ne se sent pas, non plus, vis-à-vis des Florentins, la conscience tout à fait à l’aise. Il a été autrefois leur condottiere et, sur une réquisition violente du Pape, — le même qui le persécute aujourd’hui, Alexandre VI, — il s’est retourné contre eux… Il est vrai que sa condotta touchait à son terme… Il s’était trouvé pris entre deux devoirs : il avait cru bien faire en faisant passer premier son devoir de feudataire de l’Église. Mais les Florentins, aujourd’hui, qu’en penseront-ils ?

Les Dix de Florence, pendant ce temps, se consultaient, discutaient, enfin, dépêchaient un commissaire avec quinze archers, pour aller s’assurer de l’identité du voyageur. Ce commissaire, un certain Francesco Becchi, avait vécu jadis à Urbino : il connaissait fort bien le Duc. Il arrive, il le regarde attentivement et déclare : « Je ne le connais pas, » ce qui permet de croire qu’on se trouve bien en face d’un courrier du cardinal de Lisbonne et il retourne à Florence. Les Dix s’assemblent et délibèrent de nouveau. Que se passe-t-il dans ces têtes ? Autant vaut le demander aux têtes de marbre jauni, assemblées au Bargello : à cet extraordinaire buste lippu, prétendu de Machiavel, ou à celui du vieux Strozzi, au Louvre… Florence était l’alliée de César, mais Florence évoluait. Du jour où il ne paraissait pas très certain que César vînt à bout de ses ennemis, la Seigneurie ne trouvait plus les ennemis de César si détestables. Et puis, on n’est pas responsable de tous les passans : il y a des ressemblances si surprenantes ! Toujours est-il qu’un courrier apporte un avis favorable à Guido : il doit jurer qu’il est bien le personnage qu’il dit être. Il le jure : il est libre, ses bagages lui sont rendus. Sa détention avait duré sept jours.

Cette alerte devait être la dernière. Bientôt, il arrivait chez des amis à Lucques et, de là, par la Grafagnana, il atteignait les bords du Pô. La zone dangereuse était passée. Seuls, désormais, les élémens étaient à craindre. Monté dans une petite barque, il descendit le fleuve. Il débarqua, enfin, à Polesella, d’où il gagna Rovigo ; il était désormais sous la protection de Venise.

Pour s’on bien assurer, il écrivit au Doge. C’était, en ce