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qu’avec les autres troupes feltriennes, ils pourraient tenir tout l’hiver contre l’armée pontificale, au moins à Urbino et à San Leo. Ils se retirèrent donc dans ces deux places. Jean de Rossetto envoya sa famille à San Leo en sûreté et l’on se prépara décidément à la résistance.

Le Valentinois, qui n’ignorait rien, n’ignora pas cette résolution. Il comprit, dès lors, que la popularité de Guido serait un grand obstacle à une seconde conquête par les armes et qu’il valait mieux négocier, aussi, avec lui. Il lui envoya donc Pagolo Orsini, flanqué du protonotaire apostolique Antonio de Monte San Savino, dont il comptait faire un gouverneur d’Urbino, porteurs des propositions suivantes : Oubli complet du passé ; les populations ne seraient jamais inquiétées pour faits de guerre ; nul ne serait tenu de loger un homme, ni un cheval ; Guido conserverait quatre forteresses du Montefeltro : San Leo, Majuolo, Sant'Agata et Saint Marin, avec licence d’y porter tout ce qu’il voudrait. On eût désiré traiter de ces choses avec lui en personne, à un rendez-vous dans un village, à quelques lieues d’Urbino, mais un violent accès de goutte l’empêcha d’y venir. Sur ces entrefaites, une conférence était tenue entre les partisans de César et Liverotto da Fermo et le duc de Gravina, qui se rallièrent à l’idée d’un accommodement, puis avec Vitellozzo qui s’y rallia aussi. Guido se voyait donc abandonné de tous, hors des Baglioni. S’il eût été en état de monter à cheval et de se mettre à la tête de ses vieux Feltriens, peut-être eût-il résisté, — mais accablé de souffrances, toujours en litière, il n’avait plus une âme assez « guerrière » pour « être maîtresse du corps » qu’elle animait. Entre César qui n’était jamais là où l’on se battait et Guido qui n’était plus en état de se battre, le duel ne pouvait être que diplomatique. Et le duc d’Urbino combattu par le Pape, combattu par le roi de France, abandonné par les petits princes italiens, et par les deux Républiques, ne pouvant faire qu’une guerre de guérillas, ruineuse pour son petit État, voyait bien que la victoire diplomatique appartenait aux Borgia. Il fallait donc céder à la force : il céda, mais non sans jouer à celui qui le chassait de ses États pour la seconde fois, un tour de sa façon, qu’on n’eût pas attendu de sa longue mine triste et qui enchanta Machiavel. Il y avait, alors, dans chaque ville, ce qu’on appelait une Rocca, c’est-à-dire un château fort,