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« Mon cher George,

« Alfred m’a remis vos fragmens de lettres. Nous n’y avons retranché que quelques mots, et le tout paraît dans le numéro d’aujourd’hui [1]. Vraiment, mon cher George, vous êtes en progrès. Comme cela est poétiquement et vigoureusement écrit !... Le monde ne vous rend pas encore la justice que vous méritez ; vous serez grande dans l’avenir. Leoni, si beau, si saisissant, a suscité des cris d’enthousiasme et de colère, tout à la fois. On a crié à l’immoralité vraiment ; d’un autre côté, on dit que c’est ce que vous avez fait de plus vigoureux, de plus fort. Laissez dire et marchez : l’envie et la pruderie ne doivent pas arrêter une âme comme la vôtre. Ni l’enthousiasme, ni la critique ne doivent avoir grande prise sur vous. Continuez à marcher dans votre indépendance et votre individualité ; le seul frein mis à votre pensée devra l’être par vous-même ; qui pourrait se permettre de guider un tel essor ? Continuez, mon cher poète, et ne vous inquiétez pas de la foule envieuse et stupide.

« Je vous écris sous l’impression d’enthousiasme que m’inspire une organisation comme la vôtre. Ne vous moquez pas de moi, c’est un ami sincère qui vous parle, et qui serait heureux que vous vissiez en lui autre chose que votre éditeur, c’est-à-dire un ami dévoué. J’espère que cela sera un jour. Mais quand reviendrez-vous ? Je désire votre retour, et cependant je ne puis désapprouver votre résolution de rester là-bas jusqu’au mois de septembre, si vous y êtes heureuse...

« Puisque vous avez commencé des lettres sur vos voyages, j’espère que vous m’en enverrez d’autres. C’est un cadre assez heureux pour placer toutes vos sensations. Continuez donc.

« Et André ? et Jacques ? Adieu, mon cher George , comptez sur moi pour tout ce qui dépendra de moi. Mais diable, écrivez-moi un peu plus souvent. Vous faites la paresseuse.

« Tout à vous,

« BULOZ. »


« Sainte-Beuve me charge de vous faire ses amitiés. Alfred va bien, et vous [2] ? »

  1. 15 mai 1834. Lettres d’un voyageur.
  2. Coll. S. de Lovenjoul. Inédite. F. Buloz n’avait pas encore reçu à cette date le manuscrit d’André. Celui-ci parut le 15 mars 1833.