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l’enfant sur ses genoux, et pendant qu’elle tournait les pages, il lui nommait les personnes qu’elle ne connaissait pas. L’image de George Sand passa ; alors Sandeau, d’un ton tragique : « Regarde bien cette femme, petite, regarde-la : c’est un cimetière, tu entends ? un cimetière ! » La petite fille entendit, mais n’y comprenait rien, naturellement.

Lorsqu’elle eut quinze ans, cette même petite fille, devenue une grande jeune fille, ayant sans doute recueilli sur l’écrivain beaucoup d’appréciations semblables, — et les comprenant mieux, peut-être, — se montrait, avec George Sand, assez froide : cet âge plein de grâce ignore l’indulgence. Alors, un jour, George Sand lui dit : « Ah ! je comprends ! on vous a parlé de moi ! » et doucement elle ajouta : « Plus tard, vous absoudrez ! » N’est-ce pas charmant ?

En 1832, — mai, — elle venait de publier Indiana. Valentine suivit quelques mois après. Gustave Planche fit dans la Revue du 15 décembre [1] un très élogieux article sur ces deux romans. Il écrivit : « Qui a fait ces deux livres ? Que signifie cette signature de George Sand ? » En vérité, n’en savait-il rien ? Et puis sur Valentine : « C’est un livre de femme, car c’est aux femmes seulement qu’il est donné d’avoir de l’esprit avec du cœur. » « Comme je ne travaillais pas encore à cette Revue, dit George Sand, l’hommage était désintéressé, et je ne pouvais que l’accueillir avec gratitude [2]. »

Bientôt Planche, sur l’instigation de F. Buloz, demanda à George Sand sa collaboration pour la Revue. « Je fis pour ce recueil Metella et je ne sais plus quoi d’autre. » — Et voilà vraiment une étonnante assertion, car ce « je ne sais plus quoi d’autre » représente toute son œuvre (l’a-t-elle oublié en écrivant l’Histoire de ma vie ?) sauf les romans qu’elle signa de 1841 à 1851, époque de sa rupture avec la Revue.

« La Revue des Deux Mondes, et la Revue de Paris se sont disputé mon travail, écrit-elle à sa mère en 1833. Enfin, je me suis livrée à la Revue des Deux Mondes pour une rente de 4 000 francs, trente-deux pages d’écriture. » 4 000 francs, soit ! Mais rapidement la situation changea, et j’ai retrouvé dans le dossier du procès Buloz-Sand, qui eut lieu plus tard, parmi de nombreux papiers, comptes, traités, lettres d’affaires,

  1. 1832.
  2. Histoire de ma vie.