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de perdre un Guynemer, là se mesure l’étendue de sa perte

Mais Guynemer est-il à jamais perdu ?…

Saint-Pol-sur-Mer, septembre 1917.

Visite à l’escadrille des Cigognes, à Saint-Pol-sur-Mer,

Le camp d’aviation couvre un large espace, car les aviateurs anglais en occupent une part. Une digue qui protège le terrain d’atterrissage nous cache la mer. Mais, du premier étage d’une petite maison intacte, on la voit, d’un bleu timide, d’un bleu tendre et pâle, sillonnée de bateaux qui rentrent au port de Dunkerque. C’est un beau soir calme. Une brume rousse imprécise les bords de l’horizon.

Devant les hangars de toile aux parois renflées, les avions s’alignent, attendant d’être abrités pour la nuit. Les mécaniciens les palpent, les vérifient, examinent les moteurs, les hélices, les ailes. Leurs pilotes sont là qui, revenus de leurs randonnées, sont encore revêtus de la combinaison de cuir, tiennent en main leur casque. En quelques phrases brèves ils résument les résultats de leurs reconnaissances du jour.

Et parmi eux, machinalement, on cherche celui vers qui les regards couraient dès l’abord. Je revois sa silhouette mince, sa figure ambrée, ses extraordinaires yeux noirs, ses gestes tranchans qui expliquent. J’entends son rire clair, son rire d’enfant :

— Et alors, couic…

Il était la vie, l’action même. Il descendait haletant, triomphant, tout vibrant encore comme la corde de l’arc après que la flèche est partie, et quasi titubant d’une ivresse sacrée comme le jeune dieu des bacchanales célestes.

Dix jours ont passé déjà. Que sait-on ? Rien de plus aujourd’hui que ce matin du 11 septembre où Bozon-Verduraz revint seul. Des aviateurs allemands, faits prisonniers, adroitement interrogés, ignoraient sa disparition. Comment la prise ou la mort de Guynemer aurait-elle passé inaperçue dans les camps d’aviation ennemis ? Est-il vraisemblable que la nouvelle n’en ait pas couru ? Hier un message a été lancé par un appareil allemand sur les lignes anglaises, donnant des indications sur plusieurs aviateurs anglais tués ou soignés à tel ou tel hôpital, et se terminant par une note où il était dit que le capitaine