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n’avons-nous pas encore réussi à percer le front allemand ? — Puis : N’est-il pas à craindre que les Allemands percent le nôtre ?

Il y a eu, pendant cette guerre, des « percées » réalisées sur d’autres fronts que le front français. Comment a été réalisée cette opération ?

Elle comprend deux phases : d’abord une action de vive force, un assaut, dont l’objectif est de s’emparer des organisations fortifiées ennemies sur toute leur profondeur et sur un front aussi étendu que possible pour y ouvrir une brèche. Cette rupture doit être obtenue d’un seul coup ; tout au moins, les attaques doivent-elles se succéder très rapidement et aboutir avant que le défenseur ne puisse être secouru. On bat ses réserves locales, on enlève ses batteries. Puis commence la deuxième phase de l’opération : l’exploitation. Elle consiste à développer la brèche obtenue, à la fois en avant et sur les flancs, par des opérations qui se rapprochent de plus en plus des manœuvres de la guerre de mouvement.

Deux fois au moins, au cours de cette guerre, nos ennemis ont réussi à percer des fronts fortifiés ; chaque fois, les résultats obtenus ont été considérables. En 1915, en Galicie, l’effort des armées de Mackensen à Gorlice entraîna de proche en proche la retraite des armées russes hors de Pologne. En novembre dernier, la poussée des divisions allemandes de von Below à Caporetto détermina la retraite des armées italiennes jusqu’à la Piave ; une grande partie de leur matériel, un chiffre élevé de prisonniers restèrent entre les mains de l’ennemi. La percée, quand elle réussit, est une opération très rémunératrice.

On sait, sans que j’aie besoin d’y insister, que les opérations que je viens de citer ont été réalisées dans des conditions très différentes des conditions actuelles du front français. Jamais la percée n’a pu réussir sur notre front. Est-ce à dire qu’elle y sera toujours impossible ?

Actuellement notre front est assez fort et assez fortement défendu, pour que nous n’ayons pas à craindre une aventure analogue à celle qui s’est produite, en novembre dernier, sur le Tagliamento. Mais il est important de nous rendre compte du pourquoi. En premier lieu, cela nous empêchera de perdre la tête, au cas où notre ligne serait écornée sur un point. Ensuite, c’est le moyen de nous convaincre qu’un jour, dans d’autres conditions, la percée pourra devenir réalisable et même