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matériellement. Le vainqueur n’avait plus qu’à le poursuivre et à l’achever.

Nous pouvons garder dans notre esprit cette image de la victoire napoléonienne ; elle nous aidera à comprendre, par comparaison, comment la grandeur des effectifs (résultant de l’application généralisée du système de la nation armée), l’accroissement de puissance et de portée des armes, l’intervention de nouveaux moyens matériels (résultant du développement de l’industrie moderne) imposent à la bataille d’aujourd’hui des conditions toutes différentes.

C’est presque, actuellement, une impossibilité matérielle d’engager dans une action offensive la totalité (ou la presque totalité) de ses forces. On ne peut donc plus se proposer de détruire en une seule bataille le gros des forces organisées de l’adversaire [1].

Les champs de bataille sont immenses et ils sont vides. Le front s’étend, non seulement parce que les effectifs engagés sont considérables, mais parce que la grande portée des armes permet à un petit nombre d’hommes de tenir sous leur feu de vastes espaces. L’ébranlement de la défaite, quand il se produit, ne se propage plus que dans un rayon restreint [2].

L’augmentation de puissance des armes, — fusil, canon et surtout mitrailleuse, — donne, beaucoup plus souvent que jadis, au commandant d’un parti, battu sur un point, la faculté de limiter, avec des réserves même inférieures en nombre, les progrès de l’adversaire.

Le développement des moyens de transport (chemins de fer, autocamions) et de liaison (télégraphe, téléphone, T. S. F., etc.,) permet d’amener des renforts à pied d’œuvre de très loin, donc avec un moral non ébranlé par le voisinage du combat.

Enfin, la totalité des ressources en hommes et en matériel

  1. La prolongation de la bataille impose, il est vrai, la nécessité de relever les divisions engagées en première ligne, donc d’engager successivement ses réserves. Mais les divisions relevées vont se reconstituer à l’arrière avec les ressources des dépôts, de sorte qu’en définitive chacun des partis garde d’importantes disponibilités.
  2. Sous réserve que les troupes ont un moral suffisamment élevé. L’histoire nous apprend aussi que même dans de bonnes troupes, des paniques ne sont pas impossibles. Mais, quand on se bat à distance, elles sont évidemment beaucoup plus rares et plus difficiles à exploiter.