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qu’exécuterait l’armée de Mackensen rendue libre, pourrait, la fortune aidant, leur livrer dans l’Archipel une des clefs de la Méditerranée. Pour ne pas sortir du présent ni du certain, ils sont à Odessa et à Constantza. La Roumanie, héroïque et trahie, est à leur discrétion, et ils en abusent. Comme ils la tiennent sous le genou, ils la saignent et la dépècent. Leurs conditions sont plus que draconiennes, léonines, féroces. Territorialement, ils lui arrachent non seulement les cols et les passages, mais, par endroits, les versans méridional et oriental des Alpes de Transylvanie. Ils y découpent, à l’Ouest, au Nord, à l’Est, trois lanières, trois bandes, plus ou moins longues, plus ou moins larges : trois couloirs pour communiquer avec leurs complices et les introduire chez autrui. C’est la servitude politique, mais l’esclavage économique serait pire. L’Allemagne abat sur les pétroles, sur les blés, sur les chemins de fer, sur les fleuves, sa poigne impitoyable. Elle ne ménage rien, pas plus la liberté intérieure que l’indépendance extérieure. Le roi Ferdinand, tout Hohenzollern qu’il est, justement parce qu’il est Hohenzollern, s’est rendu coupable à ses yeux du plus abominable des forfaits, qui est d’avoir été Roumain, et de n’avoir plus été Allemand. Son peuple a le tort de l’en aimer davantage. Qui sait si l’on ne les en punira pas tous les deux, en le déposant, et en intronisant de force, à sa place, un de ses frères, « le gros Guillaume » ou le prince Charles ?

Mais, pour se faire la main, avant de la porter sur la couronne, on la met sur le gouvernement. Le général Averesco, aux prises à la fois avec les Allemands par devant, et, par derrière, avec les bolchevikis qui, là encore (le hasard n’est pas si aveugle), font le jeu de l’Allemagne, s’est retiré. M. Marghiloman lui succède. Dès lors que M. Pierre Carp se dérobait, en s’excusant sur son grand âge, il n’y avait pas en Roumanie un germanophile plus qualifié que M. Alexandre Marghiloman, et d’un zèle d’autant plus chaud que c’est un zèle de néophyte. Nous avons connu à Paris M. Marghiloman, bien mieux que par les chevaux de son écurie de courses ; des camarades d’études, qui sont devenus des maîtres de notre Faculté de droit, l’ont connu aussi ardemment francophile qu’il est devenu ardemment admirateur de l’Allemagne. Son abjuration est si récente, que, dans la période qui précéda l’entrée en guerre delà Roumanie, on crut à une comédie arrangée, quels que pussent être leurs rapports personnels, entre M. Jean Bratiano et lui, pour contrebalancer le mouvement qui, dès les premiers mois, emportait spontanément la nation roumaine vers la France. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, M. Constantin