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est réduit à refaire une milice. Pourquoi cette « milice ? » Non point, certes, pour une guerre « pillarde » dont « la République fédérative et socialiste » a horreur, mais pour « défendre la patrie socialiste, suivant son droit et son devoir, contre les agressions possibles des pays impérialistes. » — Pays impérialistes ; est-ce à dire : impériaux ? Sont-ce les Empires et leurs aigles, auteurs et instrumens de la « guerre pillarde ? Ce sont eux, mais non pas eux seuls, c’est nous avec eux, les démocraties avec les Empires. « Les forces du capitalisme international s’avancent en Russie ; les Allemands à l’Ouest, les Anglo-Français au Nord. (Et l’on se demande ce que cette allusion signifie.) Le président Wilson, qui, par amour de la démocratie, s’obstine à parler doucement aux Soviets, est repoussé avec insolence : Allez, bourgeois ! Allez, suppôt du capitalisme ! Si, dans le déshonneur que leur congrès avale, les Soviets conservent une espérance, c’est que « la révolution ouvrière est proche, et que la victoire du prolétariat socialiste est garantie, en dépit des ministres farouches des gouvernemens impérialistes. » Et c’est ce qui leur rend l’infamie légère. Nous concluons au cas de folie collective le plus prodigieux, endémique et épidémique, généralisé, incurable. Le peu de personnes demeurées saines se terrent et se taisent, ou ne se prononcent qu’en tremblant, parce que se prononcer, c’est se dénoncer. Les voix qui ne disent pas de sottises, qui ne font pas chorus dans le concert impie, viennent presque toutes de l’étranger ; à peine quelques-unes s’élèvent-elles de la terre russe. Et c’est peut-être encore ce qu’il y a de plus étonnant, cette démission subite, cette défaillance de toute une nation, et qu’aucune armature n’ait résisté, qu’aucun ressort ne se soit redressé.

Tout autour de ces isolés silencieux, muets dans leur tour d’ivoire percée, ce n’est qu’incohérence et délire. Les mêmes gens qui livrent la patrie sans scrupules ont scrupule à livrer la Révolution. Tandis que Tchitchérine, adjoint au (commissaire du peuple pour les Affaires extérieures, cède tout ce qui n’était pas encore cédé, Trotsky, nommé commissaire à la Guerre, se retire à Moscou, soi-disant pour organiser la résistance. Résistance qui, du reste, consiste à s’en aller, à faire le désert devant l’ennemi, puisque l’Allemand, avec qui la Russie a fait la paix, n’en demeure pas moins l’ennemi de la Révolution, et qu’ils ne cessent pas de se faire la guerre.

Le gouvernement maximaliste menace de reprendre la tactique de 1812. Si Moscou n’est pas hors d’atteinte, il se transférera à Samara, à Saratoff ou même à Oufa. Seulement, en 1812, il y avait les