la vraisemblance est l’histoire authentique du tranquille et doux bibliophile dont l’effarante érudition émerveillera durant vingt ans tout ce que Paris compte d’hommes éminens, — Charles Nodier[1].
Voici maintenant un enfant du peuple, presque un enfant des rues : il s’appelle Béranger ; son grand-père, tailleur à façon, rue Montorgueil, l’envoie une vingtaine de fois à l’école du passage de la Bouteille qui est en face de sa maison ; il est mis ensuite dans une pension du faubourg Saint-Antoine : il ne se souviendra pas d’y avoir reçu une seule leçon de lecture ou d’écriture. Expédié à l’une de ses tantes qui tient auberge dans un faubourg de Péronne, à l’enseigne de l’Épée royale, il sert à table les voyageurs, veille à l’écurie, cire les bottes et remue le fumier : dans l’intervalle de ces besognes, il lit Télémaque et Racine ; un vieux maître d’école lui apprend à former ses lettres et à calculer. À cela se borneront ses études classiques, car admis, à douze ans, dans l’établissement qu’avait fondé à Péronne un certain Ballue de Bellenglise, fervent adepte de l’Émile, l’enfant n’y apprit rien qu’à discourir. Singulière institution que celle-là : le latin est banni et la grammaire dédaignée. Les élèves se disciplinent eux-mêmes, élisent entre eux des juges, des membres du district, un maire, des offociers municipaux, un juge de paix : ils composent une force armée, divisée en chasseurs, grenadiers, artilleurs, car ils ont des piques, des sabres et aussi une pièce de canon qu’ils traînent dans leurs promenades. Le soir ils se réunissent en un club dont les séances attirent les curieux : on chante des hymnes à la Patrie, on harangue les Conventionnels qui passent au relais, — et cela dure autant que la Terreur ; après quoi Ballue de Bellenglise, « le Fénelon républicain, » dut renoncer à sa marotte : il mourut à Amiens, président de la Cour criminelle, non sans avoir placé comme ouvrier dans une imprimerie le futur poète des Souvenirs du peuple et du Roi d’Yvetot[2].
De tels exemples que, est-il besoin de le dire, sans prétention à aucune thèse, je cueille au hasard de ma bibliothèque, et qu’on pourrait, je crois, multiplier, donneraient à penser que