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Gouzian[1] ; mais le nom du prélat ne nous est pas indiqué : c’était bien évidemment Mgr Jean-Arnaud de Castellane, évêque de Mende, égorgé, en effet, à Versaille.5, rue de l’Orangerie, le 9 septembre 1792[2].

Le baron de Barante, lui, se souvenait de la fermeture brusque du collège d’Effiat, dont il était élève, et que tenaient les Oratoriens ; d’un séjour à la campagne ; de l’arrestation de son père, emprisonné à Thiers ; d’un voyage éperdu de sa mère à Paris où elle allait implorer la grâce de son mari, grâce qu’elle obtint, en juillet 1794, d’Elie Lacoste, mis en humeur de tout accorder par la bonne nouvelle de la victoire de Fleurus qui parvenait à la Convention ce même jour. Durant la captivité de son père, le petit Barante, recueilli par un parent, se promenait dans Thiers, coiffé d’un bonnet phrygien tricolore, « car le bonnet rouge était odieux aux révolutionnaires d’un ordre un peu relevé. » Il pénétrait dans la prison, sous prétexte d’y porter des légumes, et, comme les guichetiers le fouillaient, il plaçait au cœur des artichauts les billets destinés au détenu. Puis, c’est, au début du Directoire, la venue à Paris, l’entrée dans une pension privée de la rue de Berri, celle-là même qui était connue naguère sous le nom d’Institution pour la jeune noblesse et dont les élèves avaient porté le rutilant costume que nous avons dit. L’établissement avait, bien entendu, changé d’enseigne ; le bon M. Lemoine, qui le dirigeait toujours, forcé, bien à contre-cœur, de fermer sa chapelle et de congédier son aumônier, remplaçait les pratiques religieuses par des instructions morales témoignant de sa probité, de sa sensibilité et « d’un certain usage du monde ; » et c’est grâce aux soins de cet honnête éducateur dérouté que Barante parvint à être refusé, en 1797, au concours de l’École polytechnique, où il ne fut admis que l’année suivante[3].

Le futur duc de Broglie a huit ans quand son père meurt sur l’échafaud ; sa mère s’évade des prisons de Vesoul : l’enfant est livré à des domestiques qui l’emmènent, en sabots et en bonnet rouge, jusqu’à Gray, la ville voisine, afin d’implorer

  1. Mémoires du général marquis d’Hautpoul, pair de France, publiés par son arrière-petit-fils, Étienne Hennet de Gentil, p. 6.
  2. Les Martyrs de la Foi pendant la Révolution française, par l’abbé Aimé Guillon, 1821.
  3. Souvenirs du baron de Barante, passim.