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telle qu’elle a été bâtie, brûlée, rebâtie, rebrûlée et rebâtie depuis des centaines d’années. Elle s’étend devant un cercle de montagnes qui semblent légèrement posées sur l’horizon, à l’embouchure d’une rivière, et au bord d’un grand lac dont les flots du rivage reflètent ses mille petits balcons de bois. Ses longues rues sont sinueuses et étroites ; quelques-unes ne sont habitées que par des dieux ; d’autres, par des marchands d’antiquités et d’autels domestiques. Des ponts en dos d’âne enjambent les canaux qui la sillonnent. Ses grands quartiers samuraïques se perdent sous la verdure. Mais dans son parc seigneurial, entouré de remparts et de douves fleuris il ne reste des bâtimens et des dépendances de son ancien château qu’une pagode à cinq étages.

Cette petite ville avait un caractère assez particulier. Ses daïmio, les Matsudana, dont le temple est encore visité chaque mois par les survivans de leurs derniers samuraï, étaient apparentés aux Tokugawa, et ils y avaient acclimaté l’étiquette de la cour shogunale et les arts d’agrément de Tokyo. On y jouait de la biwa ; on apprenait à y tordre élégamment la petite branche qui compose à elle seule un bouquet ; on y cultivait des arbres nains ; la mode de la cérémonie du thé y avait répandu le goût des jolies porcelaines. Même aujourd’hui que tout a changé dans l’Empire, les gens de Matsué gardent les belles manières de jadis et une sorte de fantaisie délicate dont les jeux de lumière donnent à leur immuable politesse un air de spontanéité. Ils ont l’humeur insouciante et douce ; ils ne s’occupent point de politique ; leurs seules industries sont des industries d’art : ils taillent l’agate et le cristal ; ils font de la faïence, des laques et des dieux.

Aux environs de Matsué s’élèvent les temples les plus antiques du Shintoïsme, des temples de bois vides qui, dans, leurs cours de galets, en l’absence des pèlerins, sont comme des épaves à marée basse. Cette province d’Izumo est une terre sacrée entre toutes. Mais il ne faut pas s’imaginer qu’on y soit plus fervent qu’ailleurs. Dans les endroits où affluent les pèlerinages, les indigènes ont une tendance à considérer les dieux comme leurs obligés. Cependant le va-et-vient des pèlerins crée une atmosphère religieuse assez forte ; et les légendes y sont aussi nombreuses que les lampes des dieux et des ancêtres qu’on allume le soir, partout.