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étaient bordées de palissades et de jardins derrière lesquels d’autres gens vivaient dans un logis presque invisible. C’est tout l’un ou tout l’autre au Japon : la vie s’étale avec une sorte d’impudeur ou se dérobe mystérieusement. Près du portique d’un temple, la vue d’un poste de police nous rafraîchit l’âme. Les sergens de ville japonais sont les plus oblrgeans des hommes. Celui que mon ami aborda consulta aussitôt son registre : « Koizumi ? Koizumi ? Une dame ? Une dame veuve ? Une dame qui a été mariée à un Européen ? Une dame veuve qui a été mariée à un Européen du nom de Lafcadio Hearn ? » L’agent de police secoua la tête : il n’avait jamais entendu ce nom-là ; son registre ne mentionnait le passage d’aucun Européen. « Mais si cette dame a un fils de vingt et un à vingt-deux ans, alors c’est bien ici qu’elle habile. Montez la petite rue : la dernière porte à droite. »

La porte restait obstinément fermée ; mais, à côté, on avait pratiqué dans la palissade une ouverture carrée par où nous pûmes nous glisser en nous courbant jusqu’à terre. Une allée de pierres plates, ombragée de beaux arbres, nous conduisit à la maison grand’ouverte et silencieuse entre ces arbres et son jardin. Une vieille domestique, nue jusqu’à la ceinture, nous dit que Mme  Koizumi était absente, que son fils aîné était allé au tombeau de son père, mais qu’ils rentreraient l’un et l’autre dans une heure. Il fallut nous retirer de cette ombre hospitalière et chercher dans la rue brûlante une maison de thé.

Il y en avait une dont le patron nous offrit, au premier étage, la chambre d’un étudiant, la plus fraîche de la maison ; mais il nous avertit que tout y était en désordre. Tout, c’était peu de chose. Des revues et un kimono traînaient autour d’une table minuscule, et, derrière un paravent, nous aperçûmes un panier de charbon et le petit brasero où l’étudiant devait préparer sa cuisine. Cette chambre pouvait lui revenir à six ou sept francs par mois, et sa nourriture à vingt-cinq. On ouvrit les fenêtres à coulisse et nous fûmes comme dans une galerie, éventés par l’air de la plaine. Le patron nous apporta, avec une bouteille de bière, une écorce de pin aux dessins bizarres, aussi brillante qu’une laque, et une branche d’érable qui avait la forme d’un animal fantastique. Elles étaient à vendre chacune pour soixante-quinze francs. Il tournait et retournait complaisamment entre ses doigts ces fantaisies artistiques de