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Il était déjà trop tard. Le 10 juin, les avant-gardes pontificales avaient quitté Rome par la via Flaminia et s’avançaient vers le Nord. Deux jours après, César suivait avec son état-major. Puis, venait le corps principal, environ 6 000 hommes avec 700 hommes d’armes. En outre, deux mille hommes attendaient des ordres dans les llomagnes, mille dans les défilés faisant communiquer les États de Sinigaglia et d’Urbino sous les ordres des comtes de Montevecchio et de San Lorenzo, et mille au Nord du duché ; à Verrucchio. Le 15, César arrivait à Spolète, et là, il ordonnait la levée d’un homme d’armes par maison, dans toutes les parties des Romagnes en sa possession. Puis il montait à cheval et, à marches forcées, gagnait Costacciaro, faisant passer devant lui deux mille fantassins, qu’il appelait son « artillerie à pied, » et précipitait toujours plus vite, vers Cantiano et Cagli. C’est sur la route, entre ces deux villes, que Doice di Lotto l’avait rencontré. Stupéfait de ce qu’il voyait, sentant la trahison croître autour de lui, Dolce avait immédiatement prévenu son maître, mais trop tard. Une marche forcée, pendant laquelle les troupes firent trente milles par jour, sans repas ni repos, les amenait à Cagli le 20 et là, levant le masque, — un des masques innombrables dont il se parait, — César se proclama seigneur du lieu.

Pendant ce temps, ses lieutenans de Fano et de Forli se mettaient en marche ; le premier, avec de l’artillerie, occupait Ruforzale, isola di Fano et Sorbolongo, positions qui commandent les grandes routes entre Urbino et Sinigaglia ; le second, venant de Forli et de Cesena, tournait par Sant’Arcangelo et Verrucchio, entrait dans cette région des montagnes où se dressent, comme deux titans, les rochers de Saint Marin et San Leo. Ainsi, de toutes parts, se refermait sur Guidobaldo le filet tendu par le terrible rétiaire… Le duc avait échappé par miracle, mais le duché était pris. Il ne pouvait y avoir de résistance sérieuse. La nuit du 20 au 21 juin, où Guido avait quitté son palais, il y eut un terrible désordre. Les jeunes gens et la plèbe « qui n’avait rien à perdre, » dit un historien, avaient couru aux armes. Mais les autorités et les gens sages avaient plutôt couru cacher leurs trésors, ne se faisant aucune illusion sur l’honnêteté de Borgia. Beaucoup emmenèrent leurs femmes et leurs enfans dans les villages voisins, quelques-uns jusqu’à Pesaro. Peu à peu, les prudens décidèrent les belli-