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courrier porteur d’une lettre explicative et justificative de son acte. Cette lettre, à la vérité, n’était pas pour le Pape, qui savait fort bien à quoi s’en tenir : elle était pour être montrée aux diplomates de tous les États d’Italie et d’ailleurs, passant au Vatican. Elle n’avait rien d’impromptu : il aurait pu la rédiger avant de quitter Rome. Mais il importait qu’elle parût, comme son crime même, dictée par les circonstances. Dans ce document, il n’affiche nullement un mépris des traités, ni un cynisme politique particuliers au xvie siècle. Il ne proclame, en aucune façon, le droit du plus fort à remanier la carte du monde à sa fantaisie. Il s’excuse d’avoir violé la neutralité urbinate, en déclarant avoir les preuves que le duc d’Urbino l’allait violer. Il a seulement pris les devans. Il n’y songeait nullement en quittant Rome. Il se dirigeait vers le Camerino, auquel il avait régulièrement déclaré la guerre, au nom du Pape et que celui-ci avait, au préalable, excommunié selon l’usage : tous ses préparatifs, sa concentration de troupes, en faisaient foi. Seulement, en approchant de Spolète, — qui devait être sa base naturelle d’opérations dans la contrée montagneuse, quand il irait à l’Est et au Nord de la plaine ombrienne, — il avait appris que Guidobaldo rassemblait de l’argent, des vivres et des troupes pour aller au secours de son voisin. Pouvait-il continuer sa marche sur le Camerino avec la menace d’une attaque sur le flanc, au moment où il entrait dans les montagnes ? C’était une folie ! Puis, il avait une juste vengeance a tirer. Guidobaldo jouait double jeu : en l’attaquant, il n’avait fait que se défendre. D’ailleurs, ce duc félon s’était enfui devant la réprobation de son peuple, et la ville s’était rendue librement. Il allait y entrer sans effusion de sang. César terminait en s’excusant d’avoir entrepris cette opération subsidiaire, lui le chef des troupes pontificales, sans l’autorisation du Pape…

Cette extraordinaire apologie ne trompa peut-être pas grand monde, mais on y chercherait vainement les symptômes d’une morale particulière au xvie siècle. Elle est rédigée dans les mêmes termes qu’emploierait un contemporain, qui aurait commis le même crime, pour endormir les révoltes de la conscience moderne.

Le plus singulier, c’est que, tout d’abord, des faits semblèrent confirmer le mensonge. Des soldats du gouverneur de Camerino, faits prisonniers durant la marche sur Foligno,