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s’appeler une signature, les préliminaires d’une paix draconienne. La Roumanie cède aux Puissances centrales toute la portion de la Dobroudja jusqu’au Danube. Regardez la carte ; la Roumanie n’a plus d’accès direct à la mer. On lui ôte son poumon droit, celui par lequel elle respirait largement. Quant à ce que les Puissances centrales feront de la Dobroudja, sera-ce dans leur jeu une seconde Vénétie dont elles récompenseront la « fidélité » des Bulgares ; la garderont-elles, sous les espèces d’un État danubien restreint à elles quatre, où le fleuve « maternel » de la Germanie, la Mutter Donau, serait comme la route impériale de la Mittel-Europa ? Elles daignent promettre qu’elles « feront en sorte que l’accès à la Mer-Noire par Constanza reste ouvert au commerce de la Roumanie ; » mais cette liberté, cette faculté ne peut pas dépendre d’elles ; cette clause de vassalité est d’ores et déjà non avenue, et il est bon de les avertir dès maintenant que la question de la navigation du Danube, comme celle de la navigation du Rhin, est pour toutes les puissances de l’Entente une question éminemment et nécessairement internationale. Mais on ôte à la Roumanie son poumon gauche ; on lui enlève à l’Ouest la région du Jiu, dont la perte amena l’invasion foudroyante de la Valachie ; au Nord-Est, la région de la Bistritza, qui commande l’entrée de la Moldavie. Pour employer une autre image : d’un même coup, les deux portes sont descellées. La Roumanie « accepte les mesures d’ordre économique appropriées à la situation, » et le vague de la formule autorise toutes les inquiétudes. Le gouvernement roumain démobilisera sur-le-champ huit corps d’armée ; ses troupes évacueront la portion du territoire austro-hongrois qu’elles occupent encore ; il devra faire plus : « aider de son mieux, en utilisant ses chemins de fer, au transport des troupes à travers la Moldavie, et la Bessarabie jusqu’à Odessa. » — Dans quel dessein ? La création de quelque autre État satellite ? Ou bien un objectif plus éloigné, vers Salonique ou vers Bagdad ? — Si le traité roumain, par-dessus le traité russe, devait jamais devenir définitif, il consacrerait la victoire de l’Allemagne en Orient ou à l’Orient ; elle s’y installerait et s’y étalerait, y triompherait, y régnerait, l’envahirait, l’exploiterait, en rayonnerait tentaculairement, sous des pseudonymes divers ; sous le pseudonyme bulgare à Constantza, comme elle eût voulu le faire sous le pseudonyme grec à Salonique ; sous le pseudonyme turc à Constantinople, et, à Odessa, sous un pseudonyme quelconque. Mais l’Allemagne victorieuse en Orient, ce serait l’Europe esclave et le monde confisqué.