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REVUE. — CHRONIQUE.

ainsi que l’autorité des Soviets. » L’aveu est à retenir ; il sera répété tout le long du drame ou de la comédie. Au scrutin sur la motion, cinq voix se prononcèrent pour, quatre contre. La cinquième, qui fit la majorité, aurait été celle de Trotsky. Jusque-là partisan de la lutte à outrance, il aurait inopinément changé d’opinion, et, par ce brusque revirement, décidé du vote, non sans éveiller des soupçons chez ses amis mêmes, et, chez quelques-uns, de l’indignation. A partir du moment où le Soviet des Commissaires du peuple a eu décidé de se rendre, on ne peut pas dire, à merci et miséricorde, car l’Allemagne est incapable de pitié, et il le savait, de se rendre pourtant, à genoux, pieds et poings liés, il a inondé la Russie d’une pluie d’appels et de proclamations où se heurtent les phrases les plus incohérentes et s’entrechoquent les sentimens les plus contradictoires. A moins que le tout, phrases et sentimens, ne soit que jeu, apparence et grimace. Un premier manifeste, lancé le 21 février, à deux heures du matin, maudissait les gouvernemens des Hohenzollern et des Habsbourg, constatait l’impuissance de l’armée russe épuisée, la désorganisation des moyens de transport et de ravitaillement, et, comme conclusion à ces prémisses, affirmait que le Soviet avait « fait de nouveaux efforts pour arrêter l’offensive des Hohenzollern en acquiesçant aux propositions de paix » formulées par les ministres du Kaiser. La faute en était aussi à « la classe ouvrière allemande, » qui, à cette heure terrible, ne s’était pas « montrée assez forte et assez résolue pour saisir et pour détourner le bras fratricide du militarisme impérial. Bien sûr, les Commissaires du peuple ne cessaient pas de s’en dire convaincus, un jour viendrait où cette classe ouvrière allemande, en laquelle ils étaient réduits à placer toute leur défense, se dresserait contre la politique des classes dirigeantes qui, d’Allemagne, tentaient d’étouffer la révolution russe ; mais quand ? Ils ne pouvaient pas « le prévoir avec assurance. » En attendant, ils s’inclinaient sous le fouet et la botte ; prêts à accepter même une paix « asservissante, » — ils ont osé écrire le mot, et ils en écriront dans la suite d’équivalens, c’est-à-dire d’aussi bas et d’aussi infâmes, — disposés néanmoins à la résistance « si la contre-révolution allemande venait à essayer de leur serrer définitivement la corde au cou. » Résistance purement verbale, mais, dans les termes, d’une truculence outrancière, qui ne parlait que de « chasser des rangs les capons, les corrompus, les vagabonds, les maraudeurs, » et, au besoin, de « les rayer de la face de la terre. » Mais il ne s’agissait, bien entendu, que des Russes. Les Allemands s’arrangeraient entre Allemands. Chacun