Nicolo, ressemble à celle d’un Mozart, mais en réduction, en miniature. Entre l’air fameux de Joconde : « J’ai longtemps parcouru le monde » et celui de Leporello : « Madamina, il catalogo è questo, » l’inégalité de la pensée et du style frappe, tout de suite, l’oreille autant que l’esprit. La plainte de Blondel appréhendé par les soldats (second acte de Richard Cœur de Lion), sans être indigne des lamentations de Leporello toujours, menacé de la bastonnade, n’atteint pas à la même éloquence. Elle dépasse de moins haut le personnage. En deux mots, elle exprime plus qu’elle ne suggéra. Mais, dans cette mesure et sous cette réserve, quelle part fait encore cette musique, toute cette musique, à la sensibilité, quelquefois à la poésie ! Comme elle sait, d’une touche légère, nous émouvoir et nous attendrir ! Sous les arbres où chante et rit le quatuor de Joconde, où s’achève dans la nuit la plaisante supercherie d’amour, on croit par momens respirer les souffles et les parfums épars sous les marronniers des Noces de Figaro. Sur la romance de Joconde (« Dans un délire extrême »), que dis-je, sur la plus naïve chanson (l’oiseau gris, de Rose et Colas), il ne faut qu’une modulation, mineure et furtive, pour que passe une ombre de rêve, un nuage de mélancolie. Mais le plus pur chef-d’œuvre du genre, de ce genre sentimental et poétique, c’est assurément, dans Richard Cœur de Lion, l’air de « la belle Laurette. » « Le gouverneur viendra cette nuit, » dit Blondel à la petite. « Cette nuit... » reprend-elle, et sur ce mot commence un délicieux et double poème en musique, poème de la nuit et de l’amour. J’allais en tenter l’analyse, mais, ayant ouvert par hasard un volume de Jules Lemaître, j’y trouve, à propos des jeunes filles au théâtre, les traits mêmes de la figure musicale que je voulais retracer : « Oh ! le charme mystérieux des petites vierges ! Oh ! leurs rougeurs, leur ignorance parfois troublée de pressentimens incomplets qu’elles n’osent s’avouer à elles-mêmes ! Ce don merveilleux qu’elles ont de ne pas comprendre et pourtant de frissonner à ce qu’elles ne comprennent point, et de fuir et de désirer ce qu’elles ignorent. » Tout cela, c’est ce que chante, ce que soupire et murmure une musique elle aussi virginale et mystérieuse, et frissonnante, et troublée. Tout cela, c’est le portrait de « la belle Laurette ; » c’est, pour ainsi dire, la balance exacte et comme le compte en partie double de cet air délicieux où les deux modes, mineur et majeur, se mêlent ou plutôt se répondent : « Je crains de lui poirier la nuit. »
« Piccolo mondo... » Monde des petits et des humbles, d’où l’élévation et la grandeur n’est pas toujours bannie. Rose et Colas